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cohésion que nous envie l’Europe et qui nous rend si redoutables à ses yeux. Ces préoccupations patriotiques méritant d’être discutées.

Une pareille discussion ne peut s’engager avec les démocrates autoritaires. Ce parti, soit qu’il relève de la convention, soit qu’il relève du premier empire, pourvu que la démocratie soit couronnée, se soucia peu de la liberté. Il met volontiers le sort du pays dans les mains d’un chef et lui confie le soin de tout niveler, de soumettre les volontés individuelles et d’absorber tous les droits dans sas prérogatives : c’est la nation faits homme. Je n’ai pas à discuter cette théorie monstrueuse, conçue au profit d’un prétendu principe d’égalité, car elle conduit à l’asservissement et non à la liberté. Le débat ne peut s’engager utilement qu’avec ces hommes honnêtes, mais trompés par les illusions d’une fausse grandeur nationale, qui croient que la centralisation, conciliable avec la liberté, est le moyen et la fin de toute civilisation.

La France, disant-ils en empruntant un terme allemand, est, par droit historique, une nation centralisée. Bons ou mauvais, les régimes se succèdent chez elle ; les rois s’en vont, mais la centralisation reste. Vouloir contrarier cette vocation nationale, c’est aller contre la nature des choses. L’esprit français est encore en réaction contre le moyen âge, sous l’empire du terrible souvenir des guerres intestines, des abus monstrueux de cette époque ; il est persuadé que c’est à l’intervention de la royauté qu’il doit d’avoir été délivré de tous ces maux. Constituer des souverainetés locales, à quelque titre que ce soit, c’est remonter vers ce passé, c’est restaurer un despotisme d’autant plus intolérable qu’il s’exerce plus près de ceux qui lui sont soumis. Les partisans de la centralisation ne s’en tiennent pas à cas généralités ; ils entrent dans le détail. Est-il bon, ajoutent-ils, que les communes soient souveraines pour la gestion de leurs biens et dans l’emploi de leurs ressources ? Non, si on veut éviter l’injustice. Quelle garantie offre une assemblée qui ne relève que d’elle-même, et contre laquelle on ne peut exercer aucun recours ? Quoi ! l’ordre judiciaire a été conçu de manière à soumettre les contestations du particulier à particulier à deux degrés d’examen afin d’éviter les erreurs et les surprises, et lorsqu’il s’agit d’appliquer le droit administratif, on supprimerait cette précaution si sage et si salutaire ! Pourquoi refuser à l’intérêt collectif la garantie d’une double discussion et d’un double jugement donnée à l’intérêt individuel ? Il ne peut y avoir de souveraineté que celle de la nation ; autrement on crée une multitude de petits états dans l’état. La centralisation unit étroitement toutes les parties du territoire, et leur imprime un mouvement d’ensemble qui les fait marcher du même pas dans la voie du progrès ; les ressources de toutes, régulièrement recueillies, profitent à toutes, et les sacrifices à supporter par