Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/144

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

citoyen. Ce n’est pas tout encore que cette chaîne administrative qui emmaillotte la France, qui relâche ou entrave ses mouvemens, qui lui donne plus de jeu ou la resserre jusqu’à l’oppression suivant la volonté de son gouvernement ; il y a de plus l’esprit monarchique, conservé par habitude malgré toutes nos révolutions. Cet esprit n’admet pas que quelque chose se fasse dans le pays sans l’intervention. du pouvoir. Le peuple français, soigneusement accoutumé par la royauté à tout attendre de ceux qui le gouvernent, se complaît dans la douce confiance que, — sauf pour ses intérêts domestiques, son labeur professionnel et ses affaires de famille, — tous ses besoins seront satisfaits par la sollicitude administrative ; il laisse même quelquefois cette intervention franchir le seuil du domaine privé. Qu’on juge avec une telle disposition de l’ascendant des représentans à tous les degrés de l’autorité centrale ! Aussi que voit-on au moment d’une élection ? Sous la direction imprimée par le gouvernement, à partir du conseil municipal jusqu’au corps législatif, tous les agens du pouvoir central spéculent sur les convoitises des populations : ici ils promettent un chemin, une église, des subventions pour créer des écoles, des halles, pour construire une bourse, un théâtre ; là ils s’engagent à ouvrir une voie de communication, un chemin de fer, un canal. Le trésor public se répand en monnaie électorale sous les formes les plus variées. Aussi le plus souvent n’est-ce pas la question de politique générale qui se pose devant le scrutin. Les électeurs, au lieu de se demander quel est celui des candidats dont le talent et le caractère exerceront l’influence la plus salutaire sur la marche du gouvernement, se demandent quel est celui qui, par la nature de ses relations avec le pouvoir, obtiendra la plus large satisfaction de leurs besoins locaux. Les conséquences de cet ordre de choses ne sont que trop faciles à tirer : action décisive du gouvernement sur le personnel électoral, sujétion de l’esprit politique à l’esprit de clocher, corruption systématique des mœurs publiques, annihilation de toute initiative individuelle ou locale au profit de l’autorité centrale.

Ici se présente donc dans toute sa gravité le problème de la centralisation. Malheureusement il existe une vive et longue controverse entre des esprits également et sincèrement animés du sentiment libéral. Les uns, et chaque jour leur nombre augmente, croient que, pour assurer la liberté, il est nécessaire de détendre les liens administratifs, de répandre la vie politique dans les campagnes aussi bien que dans les villes, de former des citoyens par le maniement et la surveillance des intérêts locaux. Les autres au contraire pensent que dépouiller l’état de sa puissance au profit des département et des communes, c’est émietter la force nationale, rompre le faisceau si laborieusement noué de l’unité française, dissoudre cette