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moteur des destinées du pays. Liberté et administration laissée à la discrétion du pouvoir sont des termes contradictoires. L’histoire ne nous présente l’exemple d’aucun peuple où la liberté ait fleuri sous un tel régime.

Nous avons sous les yeux deux grandes nations qui possèdent dans toute leur sincérité les institutions libérales, l’Angleterre et les États-Unis. En Angleterre, tous les services essentiels, routes, chemins, hospices, écoles, sont confiés à des personnes élues, ou bien sont attachés d’une manière obligatoire à certaines positions indépendantes, occupées par de grands propriétaires. Sans doute ceux à qui appartiennent ces positions et qui dirigent ces services ont une influence. Ils s’en servent en temps d’élection, non dans l’intérêt du gouvernement, dont ils ne relèvent à aucun titre, mais dans celui de leur parti. Le gouvernement reste en dehors de l’arène ; il n’y a aucun rôle, n’étant rien par lui-même, si ce n’est un instrument destiné à passer dans les mains du parti qui rallie la majorité du parlement.

Aux États-Unis, l’organisation administrative prend son point de départ dans la commune. Ainsi que le fait observer judicieusement M. de Tocqueville, les institutions communales sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple et l’habituent à s’en servir. Les fonctions publiques sont extrêmement nombreuses et divisées dans la commune américaine. Cependant les pouvoirs administratifs proprement dits y sont concentrés dans un petit nombre de mains. Chaque année, les habitans élisent des magistrats ou agens locaux qu’on nomme select-men L’assemblée communale choisit en même temps une foule d’autres officiers municipaux. Les uns, en qualité d’assesseurs, doivent établir l’impôt ; les autres, sous le nom de collecteurs, doivent le percevoir. Un fonctionnaire appelé constable est chargé de veiller sur les lieux publics et d’assurer l’exécution matérielle des lois. Un autre, le greffier de la commune, enregistre toutes les délibérations et tient note des actes de l’état civil. Un caissier garde les fonds communaux ; enfin des inspecteurs sont préposés à la grande et petite voirie, et des commissaires surveillent les écoles. Ces fonctions sont rétribuées, afin que chaque personne jugée capable de les remplir puisse, par l’élection, être légitimement tenue de les exercer. Une responsabilité y est attachée, mais la seule admissible dans un état libre, celle du blâme ou de l’approbation des citoyens. En aucun cas, ceux qui sont investis de ces charges ne sont les instrumens d’un pouvoir supérieur.

On comprend que, dans un pays où règne un tel état de choses, il existe des mœurs civiques ; le fonctionnaire est avant tout un citoyen, tandis qu’avec notre organisation le fonctionnaire efface le