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Ces questions pèsent sur l’opinion publique. Tout en reconnaissant ce qu’elles ont de grave, je crois qu’elles ne sont pas de nature à entraver notre marche dans la voie libérale, si nous nous y engageons avec résolution et fermeté. Les constitutions faites a priori n’ont pas réussi à la France. Pourquoi ne pas procéder par une méthode inverse ? Pourquoi, à la manière anglaise, ne pas faire chaque jour notre œuvre constitutionnelle, en l’agrandissant, en la modifiant d’après les leçons de l’expérience ? Pour pratiquer cette manière de procéder, il faut que l’esprit public ait toujours devant lui un idéal dont il poursuive la réalisation ; il faut qu’il ait toujours en perspective les formes qui sont les conditions essentielles d’un gouvernement libre. Il est donc opportun de les préciser. Nous allons rencontrer des problèmes politiques qui ont été traités plus d’une fois ; mais deux faits considérables se sont accomplis depuis qu’ils ont été soulevés, et leur donnent un aspect qu’ils n’avaient point à l’origine. Je veux parler de l’expérience parlementaire tentée de 1830 à 1848 et de l’avènement du suffrage universel.

Le gouvernement parlementaire aboutissant à un échec après un règne de dix-sept ans qui ne fut pas sans éclat et malgré les circonstances favorables qui semblaient devoir en assurer le succès, malgré la sagesse et l’habileté d’un roi identifié par son éducation et ses malheurs avec toutes les idées modernes, malgré le talent des hommes préparés par les luttes de la restauration au régime de la liberté, — un tel résultat ne nous oblige-t-il pas à rechercher les causes de cet avortement ? Le suffrage universel, base désormais de tous les pouvoirs, ne nous force-t-il point à introduire des changemens radicaux dans les institutions qui naguère avaient leur fondement sur le suffrage restreint ? Le mécanisme parlementaire, pour s’harmoniser avec la démocratie, n’a-t-il pas besoin d’étendre ses ressorts et de fonctionner plus à l’aise qu’il ne le faisait autrefois ? Notre organisation administrative se prête-t-elle ou nuit-elle à l’expansion de la vie politique qui doit circuler dans tout le corps de la nation, puisque c’est à la nation qu’appartient la souveraineté dans une société libre et démocratique ? Les problèmes d’organisation politique discutés par notre première assemblée constituante empruntent donc aux deux événemens auxquels je viens de faire allusion de nouvelles conditions dont il faut tenir compte pour que la solution soit en rapport avec le temps où nous sommes.


I

L’état de notre société est un état démocratique. Il s’agit de constituer un gouvernement en rapport avec la société, c’est-à-dire