Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/138

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le programme tracé par l’empereur. Nomination de son bureau par la chambre élective, droit pour elle de faire son règlement intérieur, liberté d’amendement, liberté d’interpellation, initiative parlementaire, vote du budget par chapitres, compatibilité de la fonction de ministre avec celle de membre de l’une des assemblées délibérantes, publicité des séances du sénat, extension de l’action législative de cette assemblée, telles sont les principales concessions qu’a dû faire le pouvoir personnel. Le pas que nous franchissons est immense, et ce n’est pas sans quelque trouble que la France reprend l’œuvre qu’elle a entreprise il y a près d’un siècle. Elle sent que sa dignité et ses intérêts lui font un devoir de recommencer cette tâche interrompue, et qu’il y va de la conservation de son rang dans la marche de la civilisation de la mener à bonne fin. Plus heureuse que dans ses tentatives antérieures, parviendra-t-elle cette fois à constituer un gouvernement libre ? L’expérience acquise à travers tous ses mécomptes suppléera-t-elle à l’ardeur qui l’animait lors de ses premières recherches d’un ordre politique nouveau ? Saura-t-elle atteindre le but qu’elle s’était marqué dès l’origine de ses efforts, ou sera-t-elle entraînée au-delà ? Est-elle condamnée à soulever continuellement le poids de sa destinée, pour en être incessamment accablée par de périodiques révolutions ? D’un autre côté, les réformes libérales dont nous allons jouir sont-elles l’effet d’un octroi ou le résultat d’une conquête ? Le pouvoir qui exerce en cette occasion la fonction constituante, c’est le sénat, et il est formé de membres nommés directement par le chef de l’état. Ce grand corps, tant qu’il ne sera pas recruté autrement, est donc sous la dépendance de l’empereur. Jusqu’à présent, il faut bien le reconnaître, le pouvoir constituant a été l’attribution la plus importante du pouvoir personnel. Quelle garantie avons-nous contre l’usage abusif de cette prérogative ? Une seule, le plébiscite ou l’appel à la nation. Cette garantie n’est réelle que si le suffrage universel fonctionne avec des aptitudes de lumières et d’indépendance qu’il n’a pas complètement acquises encore, et dont il importe de le mettre en possession le plus tôt possible. Enfin la constitution de 1852 ne disparaît pas ; elle reste la base de nos institutions. Or elle a été conçue dans la pensée de concentrer toute l’autorité dans les mains du chef de l’état. Peut-on avec quelques chances de succès y introduire le principe libéral ? peut-on, sans en rompre l’économie, sans que les ressorts qui la mettent en action soient complètement changés, espérer qu’elle se plie aux exigences les plus naturelles d’un gouvernement de liberté ? N’y a-t-il pas, entre l’intention très sincère qui inspire les réformes et l’instrument dont on est obligé de se servir pour les exécuter, une contradiction flagrante ?