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Ces deux lois font en effet que chaque paroisse rurale est bien aise de réduire le contingent résident des ouvriers sans fortune, et les grands propriétaires qui défrichent de nouveaux districts évitent de bâtir des cottages et d’attirer un personnel permanent de laboureurs, dans la crainte d’augmenter les charges locales de la taxe des pauvres. En France au contraire, la division de la propriété territoriale, les traditions, les mœurs, forment autant d’obstacles à ce mouvement de dépopulation des campagnes et de désagrégation des élémens ruraux. La propriété étant accessible à tous et déjà entre les mains d’un grand nombre, c’est un lien des plus solides qui retient le paysan au sol, c’est une communauté d’intérêts qui s’établit entre une notable partie des habitans de la campagne, c’est une garantie contre le manque absolu de main-d’œuvre. C’est en même temps, il est vrai, un obstacle à l’introduction des machines et à la propagation d’une organisation nouvelle du travail agricole comme celle des agricultural gangs. Il y a quelques années, on discutait vivement sur la question de la grande et de la petite propriété, et l’on voyait tous ceux qui s’imaginaient représenter les intérêts conservateurs se prononcer sans exception pour la grande propriété. — C’était de leur part une singulière erreur. Il n’y a pas d’élément conservateur plus énergique que la moyenne et la petite propriété ; il n’est aucune institution qui donne à la société autant de stabilité, qui groupe mieux les forces conservatrices. La grande propriété au contraire, quand elle absorbe presque tout le territoire, fait le vide autour des classes dirigeantes, et en compromet à la longue la prépondérance politique. Si l’on en doutait encore, il faudrait jeter les yeux sur les districts où prévalent les agricultural gangs.

Cette nouvelle manière d’exploiter la terre est encore localisée dans certains comtés ; mais elle tend à se propager, et de jour en jour se fortifie dans la Grande-Bretagne. Nous en avons apprécié les avantages économiques et les inconvéniens moraux ; nous nous sommes efforcé aussi d’en signaler les conséquences sociales. Ce que nous avions à cœur, c’était non-seulement de faire connaître un système ingénieux et efficace, mais encore de mettre en lumière la connexité des faits économiques, politiques et moraux, et d’attirer l’attention sur quelques-unes des causes les moins étudiées des transformations qui s’effectuent sous nos yeux. Quoi que puissent dire des esprits prévenus, il n’y a qu’une clé à l’intelligence des phénomènes sociaux : c’est l’étude attentive des faits économiques et en particulier des systèmes d’organisation du travail.


PAUL LEROY-BEAULIEU.