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LE CHRISTIANISME ET LE SPIRITUALISME.

temps qu’il place le christianisme si haut et si avant dans l’âme et dans la vie humaine, il l’abaisse et le détrône dans l’esprit humain ; il le croit incapable de se prouver en principe et de supporter le libre examen de la raison.

Il croit, il est vrai, que, si ses défenseurs voulaient bien y consentir, le christianisme pourrait n’être pas mis à cette épreuve. « Qui aurait, dit-il, le courage, au nom d’un intérêt abstrait de la raison, d’arracher sciemment à l’un de ses semblables sa consolation dans ses misères, son arme dans la bataille de la vie ? » Hélas ! l’expérience a démontré et démontre tous les jours que ce courage destructeur ne manque point en ce monde ; dans quel siècle, dans quel pays, le soin de ménager les croyances qui donnent aux hommes appui contre leurs faiblesses et consolation dans leurs misères a-t-il prévenu ou arrêté les attaques contre la religion chrétienne ? Que M. Janet renonce à attendre de la sagesse et de la bonté humaines un tel ménagement. Pas plus que moi sans doute, il ne veut qu’on emploie la force matérielle pour imposer ce frein à la pensée, et qu’au nom de l’utilité pratique de la religion chrétienne on l’affranchisse du contact de la liberté. Que la religion chrétienne ne se confie donc pas dans le bouclier qu’on lui offre ; elle en a éprouvé, elle en éprouve tous les jours la fragilité.

Je n’ai garde d’ailleurs, et tout chrétien sérieux se gardera comme moi, d’accepter cette faveur dédaigneuse. C’est l’honneur du genre humain qu’aucune doctrine, qu’aucune croyance ne se fonde et ne dure au nom de l’utilité seule. Des esprits distingués ont essayé de donner l’utilité pour principe à la morale, à la politique, à l’art, aux grands actes de la vie et de l’intelligence humaine. Démenti par les instincts de l’âme, ce système ne résiste pas à l’étude sévère des faits essentiels et universels de notre nature : la vérité, la vérité pure et désintéressée, est la loi fondamentale de la pensée humaine, quel que soit son objet. L’utilité peut être invoquée comme l’un des indices de la vérité ; mais elle ne saurait la déterminer, ni la remplacer, ni se soustraire à l’épreuve de son accord ou de son désaccord avec la vérité. Qu’il s’agisse de religion, de philosophie, de politique, de littérature, d’art, la vérité est la source et la condition de la légitimité et du droit. L’âme humaine ne se doit et ne se donne qu’à ce qu’elle croit la vérité.

Les ennemis décidés et actifs du christianisme ne s’y sont pas trompés ; quand ils ont voulu lui livrer le grand combat, c’est d’erreur et de fausseté qu’ils l’ont accusé ; c’est la vérité, la vérité rationnelle et intrinsèque, qu’ils lui ont contestée. Ils ont compris que là était la base de toute autorité sur les esprits ; voulant abattre l’arbre, ils ont porté la cognée dans la racine. Les faits ont prouvé