Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/126

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
II

C’est une croyance assez générale que la démoralisation et la dégénérescence physique frappent les ouvriers des villes de préférence aux ouvriers des champs. Les publicistes d’une certaine école empruntent à la poésie toutes ses ressources et toutes ses images pour célébrer l’innocence des populations des campagnes et la salubrité du travail rural. L’enquête anglaise sur les agricultural gangs a révélé que les désordres attribués exclusivement aux ateliers de la grande industrie peuvent se retrouver parmi les ouvriers agricoles, surtout quand, au lieu d’être disséminés sur des exploitations différentes, ils sont enrégimentés en troupes nombreuses. Sous le rapport de la moralité, les campagnes n’ont aucun privilège, aucune immunité ; voilà du moins quelle est l’opinion des commissaires de l’enquête sur les agricultural gangs, et les preuves abondent à l’appui de cette opinion ; les dépositions concordantes de magistrats, d’ecclésiastiques, de propriétaires, viennent affirmer la réalité du sombre tableau qu’ils offrent à nos yeux.

Une question préjudicielle se présente : la corruption que l’enquête constate dans les districts où prévaut ce régime de travail rural lui doit-elle être uniquement attribuée ? Est-on bien certain qu’on ne retrouverait pas des désordres analogues dans les comtés où cette organisation est inconnue ? C’est un penchant naturel à l’esprit humain de regarder comme nouveaux des vices dont la manifestation seule est récente ; c’est également un penchant auquel le spécialiste peut difficilement résister que de s’exagérer l’importance des faits particuliers qu’il soumet à ses investigations minutieuses et d’attribuer exclusivement à des causes locales et passagères des effets qui tiennent à des causes beaucoup plus générales et plus permanentes. Cette réserve faite, nous n’hésitons pas à reconnaître que l’organisation des agricultural gangs, telle qu’elle existe en Angleterre, n’est pas favorable à la moralité, à la santé même des jeunes ouvriers agricoles.

L’un des inconvéniens de ce nouveau système, c’est l’autorité considérable qui appartient au chef de bande. De lui dépend en grande partie le sort de chacun des ouvriers qu’il occupe. Or les dépositions de l’enquête s’accordent pour nous montrer les gangrnasters comme des hommes grossiers, sans principes, de mauvaises mœurs, dissolus, ivrognes, avides, à peu d’exceptions près. Voilà dans quelles mains est remise la direction exclusive de ces enfans et de ces femmes enlevés pendant la plus grande partie de l’année aux occupations et à la surveillance de la famille. Bien loin de