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l’un des caractères essentiels de la religion chrétienne. « On ne peut nier, dit-il, que M. Guizot ne pose la question chrétienne comme elle doit être posée de nos jours. Il demande au christianisme d’accepter les conditions nouvelles dans lesquelles la société est entrée depuis trois siècles, et qui sont la science libre, la conscience libre, la pensée libre. Il veut que le christianisme s’arrange pour vivre au sein de cette société, qu’il sache s’y faire sa place, qu’il en accepte les conditions librement et de bon cœur. En un mot, c’est à l’examen qu’il en appelle, et il s’engage, au nom du christianisme, à avoir raison. » Après avoir ainsi reconnu le caractère libéral de mon apologie chrétienne, M. Janet ajoute, quelques pages plus loin : « Je me représente, je l’avoue, un mode d’apologétique chrétienne différent de celui qu’a choisi M. Guizot. Au lieu d’insister sur l’impuissance scientifique de la philosophie et sur la supériorité des explications chrétiennes, je comprendrais que l’on fit valoir surtout l’efficacité pratique du christianisme. En montrant et surtout en faisant sentir vivement la consolation que la religion apporte à l’âme dans ses chagrins, la force qu’elle lui prête dans le combat des passions, on se placerait, je crois, sur un terrain inexpugnable, sur le terrain de l’expérience intérieure, où chacun est seul juge de ce qu’il éprouve ; comment contester ses consolations à celui qui se sent consolé, le sentiment de sa force à celui qui l’a éprouvée ? Contre cette expérience, quelle objection peut prévaloir ? Le meilleur médecin est celui qui guérit. Ce n’est pas pour des raisons spéculatives et en croyant à la médecine comme science que les hommes s’adressent à elle ; c’est par un instinct irrésistible qui, dans les maux de ceux qui nous sont chers et dans les nôtres, nous pousse à chercher des secours. Pourquoi, dans les maux de l’âme, dans la douleur, dans la passion, n’aurions-nous pas recours au médecin ? La preuve spéculative ne peut pas être donnée, il est vrai ; mais elle est inutile. Le christianisme ainsi compris inspirera le respect à tous ses adversaires. Qui donc en effet aurait le courage, au nom d’un intérêt abstrait de la raison, d’arracher sciemment à l’un de ses semblables sa consolation dans ses misères, son arme dans la bataille de la vie ? »

Je voudrais bien me réjouir pleinement de ce juste hommage que rend M. Janet à la valeur pratique et à la puissance morale de la religion chrétienne. Il reconnaît qu’elle soutient et console efficacement l’homme dans le combat des passions et dans les tristesses de la vie. Il le reconnaît à tel point que, selon lui, en se plaçant sur ce terrain, l’apologie du christianisme serait « inexpugnable, car contre cette expérience, dit-il, quelle objection peut prévaloir ? » Mais M. Janet lui-même m’empêche de me livrer à tant de confiance : en même