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gagne en importance à mesure que la nation d’Israël devient plus une, plus compacte. L’époque brillante de Samuel, de David, de Salomon, lui assure un prestige qui ne s’effacera plus. Cependant nul ne songerait encore à proscrire comme illégitimes l’idolâtrie et le polythéisme. La séparation des deux royaumes semble même fatale au développement du jehovisme ; mais le sentiment national alarmé par l’invasion, le caractère absorbant du culte des dieux tyriens, poussent les adorateurs du dieu d’Israël dans une voie aboutissant à la condamnation sur toute la terre israélite des cultes idolâtres et polythéistes dont le sanctuaire central était auparavant seul préservé. Les dieux déclarés non adorables sont bientôt convaincus de n’être pas des dieux, et ainsi se dégage un véritable monothéisme que le cours des idées, chez les esprits d’élite, favorisait secrètement depuis les jours de Salomon. Seulement il ne faut pas oublier que ce développement de l’idée jehoviste ne s’opère que chez une fraction d’Israélites moins puissans par leur nombre que par leur ferveur, leur moralité supérieure et la bonté de leur cause. Eh bien ! n’est-ce pas précisément la situation que, basés sur des documens incontestables, nous avions décrite au commencement de cet essai ? Voilà bien ce parti des prophètes de la Bible qui n’entend pas qu’Israël cherche des appuis ailleurs que dans la fidélité à Jehovah, dont il est le peuple de prédilection, ce parti qui adore un dieu saint, que l’on honore beaucoup plus par la bonne foi, la justice, la miséricorde, que par l’observation du rituel, ce parti qui n’aime guère la richesse, le luxe, la grandeur terrestre, car son idéal dans le passé, c’est toujours la simplicité patriarcale, mais qui attend de l’avenir la réalisation d’un autre idéal de gloire et de prospérité nationales.

En même temps nous ne sommes plus surpris de ces expressions et même de ces idées qui dénotent une certaine accointance encore existante, bien que très réduite, entre les croyances des jehovistes et les idées polythéistes des temps antérieurs. Le Jehovah du VIIIe siècle possède encore quelques traits de son ancêtre El-Schaddaï et de son protogène « le Buisson ardent. » A vrai dire, il ne les perdra jamais tout à fait ; mais il faut reconnaître que ces traits n’ont plus rien d’essentiel, rien qui ne puisse disparaître sans altérer sa physionomie définitive. Le peuple tout entier est d’accord avec les jehovistes purs quand ceux-ci lui disent que Jehovah est son dieu national, qui l’a tiré d’Égypte et toujours protégé. Sur ce point, pas de discussion ; mais l’accord cesse dès que les prédicateurs du jehovisme développé le somment, au nom de Jehovah, d’abolir toute idolâtrie et de renoncer à tout polythéisme. A côté du jehovisme monothéiste et sans images, il est un jehovisme qui ne voit aucun mal à adorer Jehovah ailleurs que devant l’arche sous le symbole d’un jeune