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aspirons simplement à suivre la marche plus ou moins inconsciente de leur sentiment religieux. Les circonstances amenèrent les esprits à se poser des questions qui ne s’étaient pas encore présentées. Il les résolurent en suivant comme d’instinct la logique des principes admis déjà, mais ils ne crurent pas du tout qu’ils innovaient. Ils le crurent si peu que, par une autre induction irréfléchie, les périodes glorieuses du passé d’Israël leur firent l’effet d’avoir été marquées par un jehovisme très strict, très pur. A chaque progrès du jehovisme, ses partisans reportèrent aux jours de David, de Samuel, de Moïse, quelquefois même plus haut encore, les formes et les institutions nées des exigences de l’idée jehoviste développée. Cette illusion n’a rien qui doive nous surprendre. A vrai dire, la claire conscience de la distinction des époques, la notion du développement graduel des croyances et des cultes, ne sont devenus ordinaires que de nos jours, et encore à la condition d’une éducation préalable. Au moyen âge, rien ne fut plus commun que de mêler les institutions et les croyances du catholicisme aux événemens de l’antiquité biblique. Au lendemain de la réforme, un Hans Sachs met le catéchisme de Luther entre les mains des enfans d’Adam et d’Eve. Au XVIIe siècle, les peintres habillent en Turcs tous les ennemis du christianisme qu’ils font figurer sur leurs toiles. De nos jours encore, une foule de gens, croyans et non croyans, n’ont pas même l’idée qu’il existe une histoire des dogmes, et s’imaginent que Jésus a enseigné la théologie scolastique.

L’illusion des jehovistes hébreux ne fait donc pas exception dans l’histoire de la pensée humaine ; mais ce qui attire surtout l’attention de l’historien, c’est qu’à partir du IXe siècle les jehovistes ardens se rendent un compte de plus en plus clair des changemens à opérer dans les lois et les habitudes pour que la réalité réponde enfin à leur théorie. Ils comprennent désormais que les formes inférieures du jehovisme sont aussi répréhensibles que l’infidélité déclarée à Jehovah. En effet, celles-là mènent à celle-ci. Le taureau d’or rapproche beaucoup trop Jehovah de Baal ou de Moloch ; sur « les hauts lieux, » il y a des bois sacrés, des pierres divinisées par une vénération séculaire, des arbres verdoyans, toute espèce de reliques du vieux temps que le jehovisme primitif avait supportées, ou qui, pour mieux dire, lui avaient servi de berceau. Les superstitions antérieures foisonnaient tout autour ; des symboles, des images d’autres divinités s’y trouvaient en grand nombre, et avec quelle facilité le vieux sentiment polythéiste de la nature ne renaissait-il pas sur ces hauteurs d’où l’on voyait le soleil s’élever majestueusement, comme un prince invincible, des profondeurs dorées du désert, ou bien l’armée des nuits, commandée par sa reine au manteau d’argent, se ranger silencieusement en bataille sur la