Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 83.djvu/110

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Jérusalem en était une, et plus d’un indice suggère l’idée que le parti du jehovisme ardent ne l’avait pas vu s’élever d’un bon œil. Un jour, sous David, et comme ce roi parlait déjà d’ériger un temple à Jérusalem, un prophète lui avait déclaré net, au nom de Jehovah, qu’une simple tente lui avait toujours suffi, et qu’il ne désirait pas changer ses habitudes. C’était toujours le dieu du désert, de la tribu nomade, qu’on aimait à retrouver sous son toit mobile. Salomon, qui n’aimait pas le désert, ne paraît pas avoir fait des prophètes jehovistes le même cas que son père, et en réalité les prophètes furent de cœur avec l’insurrection, si même ils ne la provoquèrent pas. — Comment se fait-il, dira-t-on, que le nouveau roi se soit empressé de rompre tout lien religieux avec Jérusalem et de bâtir à Béthel et à Dan deux sanctuaires nationaux en l’honneur de Jehovah-veau d’or ? N’était-ce pas tout au moins un pas en arrière ? et le parti jehoviste pouvait-il sanctionner sans réserve une politique dont le premier effet était de priver les Israélites du nord des bénédictions attachées à la communion avec l’arche de Jehovah ? On ne peut répondre à tout cela que par une supposition. Il se pourrait qu’à l’exemple de plusieurs autres révolutions anciennes et modernes celle-ci ait été due à une coalition de partis parfaitement d’accord pour renverser, mais très divisés pour reconstruire. Jéroboam, en favorisant le culte des veaux d’or, ne se crut pas infidèle au dieu national ; mais, poussé au trône par une réaction, il vint au-devant des vœux d’une grande majorité de ses sujets en relevant la vieille idole traditionnelle du discrédit où elle était tombée sous le règne précédent. Le peuple vint l’adorer en masse. Il y eut, paraît-il, quelques prophètes qui s’aperçurent qu’on avait fait fausse route ; mais il était trop tard.

Ce royaume du nord devait donner aux descendans des prophètes bien d’autres sujets de souci. Le peuple, tout en considérant Jehovah comme le dieu-patron d’Israël, n’avait pas cessé d’adorer aussi les divinités cananéennes et syriennes. Le moment vint où le culte du Baal syrien, favorisé par une cour soumise à des influences féminines, devint si absorbant que les vieux Israélites purent croire que c’en était fait du jehovisme. Les deux royaumes, celui du nord sous Achab et Jézabel, celui du sud ou de Juda sous Athalie, se laissèrent gagner par la contagion. Le vieil esprit d’Israël toutefois tint ferme. Elie et Elisée furent les héros du jehovisme national, et deux révolutions parallèles, celle qui mit Jéhu sur le trône d’Éphraïm et celle qui rétablit le prétendant davidique Joas sur le trône de Juda, n’eurent d’autre cause que le désir général de maintenir la suprématie de Jehovah. Les taureaux de fonte furent conservés dans le nord, le culte des autres dieux ne fut nullement extirpé ; mais le jehovisme se retrempa dans cette lutte acharnée,