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commence à se distinguer à son avantage des accès de fureur délirante dont les adorateurs de Baal et d’Aschera étaient souvent saisis. L’œuvre de Samuel a été transfigurée comme celle de Moïse, et par les mêmes procédés dérivant des mêmes illusions. Cependant plus on réfléchit sur cette période de l’histoire d’Israël, plus on acquiert la conviction que, peu de temps avant l’établissement de la royauté, une main puissante a resserré les liens politiques et religieux des tribus, et rehaussé par des victoires les titres de Jehovah comme dieu national. Saül, David, Salomon, ne firent sur ce point que continuer l’œuvre de Samuel.

Il s’agit toujours et uniquement, qu’on veuille bien se le rappeler, du dieu de la nation confédérée d’Israël, et pas encore du tout du Dieu seul existant et seul adorable que la postérité connaîtra. Ces premiers momens de la royauté en Israël ayant vu se réaliser plus étroitement qu’aucune autre époque l’unité des tribus, il est clair que le sanctuaire central, le nom du dieu fédéral, son culte particulier, jetèrent un éclat, inconnu jusqu’alors, qui fit illusion à la postérité. Elle crut que le jehovisme développé du VIIIe siècle avait été déjà la religion des contemporains de David et de Salomon. Elle attribua au premier les Psaumes, au second les Proverbes et la morale monothéiste qu’ils contiennent. Ce qui est certain, c’est que David, aussi bien que Samuel, reconnut l’importance politique du jehovisme, puisqu’il voulut à tout prix avoir l’arche de Jehovah dans sa capitale ; mais que le Jehovah de David est encore loin de la majesté du Dieu des grands prophètes ! Le roi d’Israël « danse de toute sa force devant Jehovah, » lorsque l’arche est portée à Jérusalem, et la fête à laquelle il convie le peuple a quelque chose de parfaitement païen. On y mange, on y boit, c’est comme un pardon de Bretagne. David lait pendre sept descendans de Saül, toujours « devant la face de Jehovah, » pour apaiser sa colère allumée jadis par un méfait de son prédécesseur. Il s’imagine que la peste qui dévore son peuple est un châtiment de la faute qu’il a commise en ordonnant un dénombrement général. Nous ne disons rien de sa moralité privée. Tout concourt à démontrer que, si son jehovisme est ardent, il est encore des plus grossiers. Quant à Salomon, son polythéisme indéniable, mais que l’on expliqua plus tard tant bien que mal, nous représente simplement le point de vue religieux généralement admis par la majorité de ses sujets. Jehovah est et reste à ses yeux le dieu d’Israël, c’est en son honneur que le temple de Jérusalem s’élève, et il ne lui donnera pas de rival dans son sanctuaire ; mais cela n’empêche nullement ce prince, grand amateur de constructions, d’ériger des sanctuaires aux autres dieux adorés dans ses états. Ce qui prouve encore combien peu la différence entre le jehovisme et les autres