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la vie comme à un élément nécessaire de la vraie religion. De ce côté encore, le dieu sans épouse venait au-devant des exigences d’une conscience développée ; par là se trouvaient éliminés les rites impudiques qui tiraient leur origine des rapports, sexuels attribués aux autres divinités sémitiques.

L’œuvre proprement dite de Moïse au point de vue religieux fut donc la fondation ou plutôt le perfectionnement d’un culte national ayant pour centre principal un autel où le dieu national est seul adoré, mais n’impliquant ni la négation des autres dieux ni l’interdiction de les adorer ailleurs. Si l’on prétend faire remonter jusqu’à Moïse le monothéisme pur et la proscription absolue de tout culte différent du sien, on se condamne à ne plus rien comprendre à l’histoire des temps qui suivirent, et notamment la période dite des juges devient une énigme insoluble.

Cette distinction féconde entre le monothéisme et la monolâtrie de Jehovah au sanctuaire national, nous l’appliquerions aussi à la question des images divines, sur laquelle M. Kuenen, selon nous, hésite trop : nous lui accordons tout de suite que Moïse ne peut pas avoir interdit absolument la confection des idoles, comme le texte actuel du Décalogue le ferait croire. Les preuves du contraire sautent aux yeux à chaque page de l’histoire d’Israël ; mais, outre que la symétrie du Décalogue serait détruite par la suppression du commandement relatif aux « images taillées, » une réforme aussi grave que celle qui aurait consisté à supprimer la représentation visible de Jehovah dans son sanctuaire spécial aurait nécessairement laissé des traces dans les siècles suivans, et on ne peut signaler aucun moment où cette suppression serait vraisemblable. Rien non plus ne permet de supposer que jamais l’arche de Jehovah ait été surmontée ou accompagnée d’une image visible de ce dieu. Il est donc plus simple d’admettre que la défense d’adorer des idoles émane bien de Moïse, mais qu’elle fut pendant longtemps limitée au service religieux national qui se célébrait autour de l’arche, « devant la face de Jehovah. » Le luxe fatigant de l’idolâtrie égyptienne put aussi pousser Moïse dans cette voie et rehausser dans son esprit le vieux culte des pères errant au désert : ils se passaient à merveille de temples qu’ils n’auraient pu construire, de statues qu’ils n’auraient su sculpter, et portaient tout au plus avec eux quelque pierre sacrée comme un talisman dépositaire de la force divine.


III

Les lecteurs intelligens de la Bible qui ne sont pas initiés à la critique de l’Ancien-Testament ne peuvent se défendre d’une certaine surprise quand, des livres de Moïse et de Josué, ils passent