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l’objet, il faut une vraie grâce d’état pour ne pas être bientôt rassasié de ses formes pesantes, réglementées, hiératiques. Qu’à cette impression se joigne quelque forte antipathie de race, et ce rassasiement devient du dégoût, de l’horreur. On a beau dire, la race est une puissance. De nos jours, il arrive quelquefois que les sociétés de missions adoptent de jeunes Chinois encore en bas âge et les font élever à grands frais dans des institutions d’Europe : ils retournent au sein de leur patrie, résolus à propager la religion européenne ; à peine ont-ils débarqué, l’esprit de la race les ressaisit, ils oublient leurs promesses, perdent leurs croyances chrétiennes, on dirait qu’ils n’ont jamais quitté la Chine. Quelque chose d’analogue doit s’être passé dans l’âme de Moïse. Il avait probablement des traditions de famille, des réminiscences de l’ancienne vie patriarcale. La passion du désert, la nostalgie de la vie pastorale le saisit à la porte même des Pharaons. Le dieu des pères d’Israël, la simplicité antique de son culte, encore perpétuée au sein des tribus d’Arabie qu’il put connaître, l’idée que le Fort très puissant devait posséder, comme Dieu des dieux, une perfection suprême, incommunicable, tout cela dut avoir pour lui un attrait d’autant plus vif que la religion égyptienne, avec ses dieux innombrables, son rituel compliqué, ses temples gigantesques, ses pompes et son exubérance en tout sens, contrastait plus vivement avec la piété des rudes et fiers nomades faisant le matin un autel de la pierre qui leur avait servi de chevet pendant la nuit. Ce n’est point là une hypothèse gratuite. Dans tout le cours de l’histoire du jehovisme, on voit la simplicité de l’âge patriarcal planer comme un idéal à l’horizon de l’Israélite[1], et lui inspirer ces accès de puritanisme qui font de lui un iconoclaste furieux. Bien loin que le mosaïsme ait été emprunté à l’Égypte, il dérive plutôt d’une puissante réaction du vieux génie sémitique, du désert contre la cité, du goût passionné du simple contre la recherche de l’opulence. On pourrait cependant admettre une certaine affinité entre l’éducation de Moïse et l’intuition en quelque sorte philosophique qui lui permit de découvrir l’idée centrale et supérieure du sémitisme, ainsi que le lien qui doit unir la pureté morale à la religion. C’est encore là un de ses grands mérites et l’un des titres de gloire du jehovisme. Incontestablement, à toutes les époques, le jehovisme se distingua par une morale supérieure fondée sur son principe religieux. Le Décalogue accuse dès les premiers jours cette tendance à la pureté de

  1. C’est ce qui expliquerait fort bien le cachet surprenant de réalité des récits de la vie patriarcale, pleins pourtant d’invraisemblances et d’impossibilités manifestes. Les faits réels furent oubliés ou altérés, mais la note exacte, l’esprit, la couleur générale de cette période, furent conservés.