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taient encore dans les cortès ont profité de la circonstance pour quitter l’assemblée en protestant. Maintenant la question est remise au sort des armes, et voilà comment les républicains espagnols servent l’Espagne et la liberté ! Si grave que paraisse ce mouvement, si acharnée que soit la lutte, partout où se heurtent insurgés et soldats, le dénoûment sera sans doute encore une fois favorable au gouvernement de Madrid. L’insurrection républicaine ne sera probablement pas plus heureuse que ne l’a été, il y a deux mois, l’insurrection carliste. Les députés qui ont quitté l’assemblée pour courir aux armes, et qui ne reviendront plus sans doute au cortès, en seront pour les frais d’une triste campagne ; vaincus, ils auront à supporter le poids de leur défaite. Le gouvernement en sera-t-il plus fort ? L’assemblée ne se trouvera-t-elle pas singulièrement affaiblie par la retraite d’un si grand nombre de ses membres ? Et dans cette situation les pouvoirs de l’Espagne auront-ils une autorité suffisante pour trancher les questions qui restent à résoudre ? Voilà les difficultés qui s’élèvent même dans un succès. La république aura cessé d’être une menace ; la monarchie s’en portera-t-elle mieux au-delà des Pyrénées ?

La politique aujourd’hui, ce n’est plus seulement le drame tourbillonnant des passions et des ambitions se disputant l’influence, ce n’est plus seulement un changement de ministère ou un changement de constitution ; la politique, c’est aussi tout ce qui agrandit en quelque sorte la vie morale et matérielle des peuples par ces voies nouvelles ouvertes à travers les mers et à travers les continens. Le sultan et le khédive en étaient, il y a peu de temps, à se disputer sur leurs rapports et sur leurs droits dans le gouvernement de l’Égypte. S’ils n’en ont pas fini, ils sont bien obligés de mettre momentanément une sourdine à leur conflit pour laisser passer un événement qui se prépare, et qui peut être d’une bien autre importance pour le commerce du monde, l’inauguration prochaine du canal maritime de l’isthme de Suez. Déjà tout se dispose pour cette fête, à laquelle sont conviés des représentans de tous les pays. Têtes couronnées et simples curieux se mettent en mouvement. L’impératrice des Français est partie, et a fait une première station à Venise, où l’on a fort illuminé pour elle. Le prince de Prusse, qui était ces jours derniers à Vienne, et qui passe aussi à Venise, suit de près l’impératrice. Le prince Amédée de Savoie, avec ses navires italiens, cingle vers l’Orient, et voici un personnage inattendu. L’empereur d’Autriche, dit-on maintenant, veut, lui aussi, être de la fête. Il n’a pu résister au plaisir de se trouver là où sera l’impératrice des Français. Encore un mois, tout sera prêt, tout le monde sera rendu. L’escadre des princes entrera pavillon déployé et au signal convenu dans le canal. L’impératrice Eugénie aura le commandement à bord de l’Aigle, et marchera en tête du cortège. Ce sera fort beau.