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la garantie d’une direction qui sauvegarde sa sécurité et ses intérêts. Les fanatiques ont le droit de mettre leur république au-dessus de tout, même au-dessus de la liberté ; c’est aussi apparemment le droit du parti libéral de mettre la liberté au-dessus de la république, et ce n’est pas seulement son droit, c’est la raison même de son existence, c’est sa force.

La raison d’être du parti libéral en effet, c’est de distinguer la liberté de la révolution, le progrès réel des vaines perturbations, non-seulement dans la politique proprement dite, mais encore dans toutes ces questions dangereusement envenimées qui mettent aux prises le salaire et le capital, les chefs d’industrie et les ouvriers. Malheureusement ces questions ne chôment plus, et elles se traduisent en grèves incessantes. Elles viennent de renaître dans le bassin de la Loire, où elles s’agitaient il y a quelques mois et où elles provoquaient le plus triste conflit. Plus tard, la grève s’est mise à Lyon, récemment elle a paru à Elbeuf parmi les filateurs de coton. Hier encore, dans l’Aveyron, à Aubin, une agitation ouvrière se manifestait à l’improviste, et aboutissait aussitôt aux plus tristes scènes. Là aussi, comme à la Ricamarie au mois de juin, une collision sanglante a éclaté entre les ouvriers et la force armée. Des hommes sont tombés pour ne plus se relever. Il y a eu des victimes innocentes ; des femmes et des enfans ont péri. Quatorze morts, plus de vingt blessés, c’est le bulletin funèbre de cette cruelle échauffourée. La difficulté ne reste pas moins tout entière. C’est la fatalité de ces douloureuses questions d’être mal engagées, d’être dénaturées par ceux qui s’en emparent comme d’un levier d’action. On veut confondre des choses qui ne font que rendre le problème insoluble, on veut mêler une question sociale, politique, et une question d’industrie, de salaire. On veut, par des organisations occultes, internationales, enrégimenter les ouvriers de tous les pays, les conduire à l’amélioration de leur condition en passant par la république européenne, par le collectivisme, par tout ce qu’on a vu et entendu à Bâle. Il en résulte que les intérêts vrais de tous ceux qui vivent de leur travail disparaissent dans ces confusions désastreuses qui n’aboutissent qu’à une paralysie de l’industrie, à un malaise universel dont les travailleurs eux-mêmes sont naturellement les premières victimes. Que les ouvriers soient animés de l’ambition d’assurer le bien-être à leurs familles, d’arriver par l’équité, par des garanties nouvelles, à un état meilleur, rien n’est assurément plus légitime. C’est à eux surtout de voir s’ils ne compromettent pas leurs intérêts les plus chers par ces grèves et ces coalitions qui sont devenues la plaie envenimée de l’industrie contemporaine. Il y a peu de temps, un homme qui a été ouvrier et qui habite Grenoble, si nous ne nous trompons, M. Nicollet, écrivait sur les grèves un opuscule sensé, plein de faits et de connaissances pratiques. Il montrait que les coalitions,