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rière-pensées discordantes, c’est qu’à une situation nouvelle il faut un parti nouveau groupé, organisé, fait pour être le guide d’un mouvement qui est libéral sans être révolutionnaire. Jusqu’ici, on peut dire que la politique de cette situation nouvelle est restée à l’état d’instinct dans le pays ; le moment est venu où elle doit en quelque sorte se personnifier dans ce qu’on pourrait appeler le parti de l’action libérale, et la formation de ce parti est doublement nécessaire, si l’on veut sortir enfin de la pénible transition où nous nous débattons depuis quelques mois. On a déjà plus d’une fois reproché au chef de l’état de ne point appeler au pouvoir des hommes faits pour être la personnification frappante de la politique nouvelle aux yeux du pays, et on a sans doute raison à un certain point de vue. En définitive cependant, où prendrait-il ces hommes ? Il en existe, nous n’en doutons pas, il s’en produira, nous en avons la confiance : ceux dont le nom est murmuré quelquefois et même hautement signalé sont des hommes de capacité ou d’expérience qui entreraient avec honneur dans une combinaison sérieuse ; mais enfin, disons la vérité, ces hommes mêmes, si honorables qu’ils soient, ne seraient encore qu’une transition, parce qu’ils n’auraient pas derrière eux un groupe puissant, compacte, prêtant à ce gouvernement nouveau l’autorité d’une forte agrégation morale et politique. La première condition, c’est donc l’organisation de ce parti de l’action libérale avec lequel le gouvernement sera bien obligé de compter. Il y a une autre raison plus sérieuse encore peut-être pour que le parti libéral se forme définitivement, c’est qu’en vérité, si les choses vont ainsi, nous sommes menacés de rouler d’ici à peu dans l’incohérence absolue.

Ce n’est plus un mouvement politique, c’est un déchaînement où chacun se hâte de prendre date et de lever son drapeau, où les plus obscurs se réveillent chefs d’opinion, organisateurs de manifestations, promoteurs de délibérations, et où, sous prétexte de revendiquer la liberté, les passions les plus extrêmes, les ressentimens et les orgueils les plus implacables entrent sur la scène avec leurs bruyantes bravades, comme si le gouvernement, la société, le monde, leur appartenaient. Que voulez-vous que la nation voie dans tout cela ? À quoi voulez-vous qu’elle se rattache ? Sans doute le suffrage universel, par l’extension qu’il donne à la vie publique, et la situation actuelle elle-même, par sa nouveauté, comportent un certain décousu dont il ne faut pas s’étonner. D’un autre côté, nous ne contestons nullement aux énergumènes jeunes et vieux le droit de divaguer à leur aise, de sonner le tocsin tous les soirs et tous les matins, d’assurer que le monde ne vit que par eux. Ils sont libres ; mais c’est une raison de plus pour que dans cette confusion assourdissante un vrai et large parti libéral s’organise et s’affirme, faisant face au gouvernement, s’il le faut, et se distinguant aussi des déclamateurs révolutionnaires, leur opposant au besoin une barrière, offrant au pays