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centralisé du monde, concentrant dans ses mains tous les ressorts administratifs, nommant les maires, disposant de tous les intérêts des municipalités, et ne connaissant pas même au juste les ressources des communes placées sous sa tutelle, — tant le pouvoir discrétionnaire finit par s’engourdir, par être trompé lui-même quand il agit dans le silence, en dehors de tout concours actif du pays, de tout contrôle efficace ! Ce n’est là qu’un point de l’organisme administratif, et il y en a bien d’autres. Rien ne serait plus dangereux désormais que les palliatifs et les semblans d’hésitation. La pire des choses serait d’avoir donné la possibilité de sonder le mal, la liberté de le signaler, et de s’arrêter au seuil de la voie de réforme qu’on a ouverte par le sénatus-consulte du 6 septembre. Il ne suffit plus que le gouvernement médite sur ce qu’il fera, il faut qu’il mette la main à l’œuvre ; il ne suffit pas même qu’il soit sincère, il faut qu’il le paraisse. Ce n’est pas assez qu’il ait abdiqué théoriquement l’omnipotence, il faut que la politique tout entière, dans ses inspirations, dans ses procédés, se plie aux conditions de ce régime nouveau. D’où vient que ce qui a été accompli depuis trois mois n’a pas toujours produit l’effet qu’on en attendait ? C’est que le gouvernement, — sans aucun calcul, nous voulons le croire, — s’est trop souvent donné l’air de marcher de mauvaise grâce, de ne faire les choses qu’à moitié. Lorsque Napoléon Ier, à bout de moyens dictatoriaux et sentant le besoin de rajeunir son pouvoir pendant les cent jours, fit l’acte additionnel, cette image anticipée du dernier sénatus-consulte, il hésitait, lui aussi, il disputait les concessions, et aussitôt que l’acte additionnel fut connu, la première impression du public fut fort équivoque. Le lendemain, se retrouvant avec Benjamin Constant, le confident inattendu de ses velléités libérales, l’empereur lui dit : « Eh bien ! la constitution nouvelle ne réussit pas dans l’opinion publique… » Benjamin Constant répliqua : « C’est qu’on n’y croit pas assez ; faites-la exécuter, sire, et on y croira… Quand le peuple verra qu’il est libre, qu’il a des représentans, que vous déposez la dictature, il sentira que vous ne vous jouez pas de sa souveraineté. » L’empereur devint songeur, puis il finit par dire : « Au fait, vous avez raison ; quand le périple me verra agir ainsi, me désarmer du pouvoir absolu, il me croira peut-être plus sûr de ma force. C’est bon à tenter. » L’empereur ne se préoccupait guère sans doute de pousser à bout l’expérience, et dans tous les cas il n’eut pas le temps de l’essayer. D’autres sont en mesure de la tenter, et après tout l’argument le plus décisif en faveur de cette politique, c’est qu’il n’y en a pas d’autre. Il est évident en effet que le gouvernement ne peut plus se dérober à ces nécessités nouvelles qu’il a lui-même contribué à rendre plus impérieuses. C’est là que l’a responsabilité deviendrait sérieuse pour lui.

S’il y a une chose claire dans cette confusion où s’agitent tant d’ar-