ponsabilités très diverses. Le pays a incontestablement son idée fixe, il veut marcher, il veut s’émanciper dans sa vie intérieure, il se sent en état de prendre la direction de ses destinées ; mais en même temps il veut, autant que possible, éviter une révolution, il a une répugnance visible pour tout ce qui ressemble à une perturbation matérielle. La responsabilité du gouvernement consiste à ne pas méconnaître la nécessité de cette œuvre d’affranchissement intérieur, qui est désormais la seule politique possible ; la responsabilité des partis consiste à tenir compte des répugnances du sentiment public pour des révolutions violentes.
C’est la liberté que veut la France, ce n’est pas un bouleversement qu’elle poursuit. Sans doute les révolutions ont eu leur époque de popularité. Aujourd’hui ces illusions sont passées. On sait par de dures expériences ce qui en est. Les intérêts se sont multipliés et disséminés dans toutes les classes. La vieille société est devenue une société nouvelle qui n’est point certainement arrivée à la perfection, mais qui a désormais, si elle le veut, tous les moyens de réaliser en elle-même les progrès désirables. On en vient à juger les choses avec plus de sang-froid. Une révolution, elle peut toujours éclater sans doute, si l’on commet assez de fautes pour la rendre inévitable. En réalité, à quoi servirait-elle ? Elle ne ferait que compromettre une fois de plus cette liberté que nous poursuivons de nos vœux et de nos efforts. Elle nous rejetterait dans la vieille ornière, tout serait à recommencer. Six mois seraient à peine écoulés, que tous les déchaînemens auraient produit leur effet ordinaire. Une réaction nouvelle se montrerait à l’horizon, et qui sait si encore une fois nous ne reprendrions pas notre chemin tambour battant vers quelque dictature inconnue pour retrouver la sécurité ? Le pays a parfaitement l’instinct de cette situation, il comprend très bien qu’une révolution ne résoudrait rien, et c’est ce qui fait que cette agitation poursuivie depuis quelques jours n’est qu’une expression très grossie, très infidèle, du vrai sentiment public. On a beau parler au nom du peuple, faire apparaître le peuple partout, signifier la volonté du peuple. Le peuple reste assez froid, il garde son feu pour une meilleure occasion. Les promoteurs obstinés des manifestations se rendent bien un peu compte aussi de ce que sent le pays, et c’est ce qui fait que les plus intelligens reculent ; ils ont raison, cette marque de sagesse, sans être très spontanée et très volontaire, est encore une façon d’hommage au bon sens public. En définitive, la vraie moralité de cette agitation des dernières semaines, c’est que le pays est à coup sûr impatient de voir le corps législatif réuni, les institutions nouvelles sérieusement appliquées, mais qu’il est beaucoup moins pressé de se jeter dans une révolution violente, et ce serait certainement désormais la folie la plus caractérisée de continuer à donner le signal d’un conflit qui ne pourrait que fournir des prétextes de répressions et de réactions nouvelles. C’est là ce qu’on peut justement appeler la question de responsabilité pour les partis.