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réputation de femme spirituelle et excentrique l’avait précédée en Italie, où le monde lui fit généralement bon accueil. Les Italiens, plus prompts que les Anglais à l’enthousiasme, sont aussi moins esclaves du préjugé. Sa renommée inspirait la curiosité, ses grandes manières lui valaient à la fois le respect de ses inférieurs et l’estime de ses égaux. Ceux-ci se souvenaient qu’elle avait été ambassadrice, qu’elle avait occupé un rang considérable. « La duchesse de Campo-Florida, femme du ministre d’Espagne, me traite comme si j’étais encore ambassadrice. » Ces lignes s’adressaient à son mari, avec qui elle ne cessa jamais de correspondre. Elle vante également la politesse du doge de Venise, un membre de la famille Grimani qui l’avait connue à Londres, et qui s’efforçait de dissimuler la décadence de la république par des fêtes somptueuses. Les savans aimaient son érudition, et croyaient revoir en elle l’égale des femmes célèbres qui illustrèrent l’Italie savante de la renaissance, qui furent l’honneur des grandes universités de Padoue et de Bologne. — Plusieurs la soupçonnaient d’avoir écrit des livres philosophiques, et ne voulurent point ajouter foi à ses démentis, qu’ils attribuaient à l’orgueil ou au caprice. À ce sujet, elle faillit avoir une querelle avec le cardinal Querini. « Hier, il m’envoya l’un de ses vicaires. Cet ecclésiastique débuta par force complimens, puis commença un discours dont le but était de me demander mes livres. — Sa grandeur, disait-il, désirait les placer dans le casier réservé aux ouvrages anglais, à l’endroit le plus apparent de la bibliothèque. — Je ne pus que manifester mon regret, prévoyant immédiatement ce qui arriverait. Le vicaire fit un geste d’incrédulité, et, sans paraître tenir compte de mes paroles, reprit que son éminence sans doute aurait pu et peut-être même dû se les procurer, mais que le transport était long, assez chanceux, et que finalement il avait compté sur mon amitié pour le débarrasser de ce soin. Il ajouta que je me trouverais en bonne compagnie et supérieurement logée. Je fis mon possible pour le convaincre ; l’incrédulité qu’il opposait à mes dénégations les plus formelles me réduisit au silence. Une invitation à dîner et toutes les politesses imaginables furent assez mal accueillies, et je vis que je passerais désormais pour un monstre d’ingratitude aux yeux du cardinal… Sans doute, personne n’eut jamais plus que moi occasion d’écrire ; mais le peu que j’ai écrit n’a guère été accueilli d’une façon encourageante. Des vers de moi ont paru, publiés sous un autre nom[1] ; par contre, on m’en a attribués dont je ne suis point l’auteur. Je me suis consolée de ces mortifications en me disant que je

  1. Allusion au poète Pope, qu’elle accusait de lui avoir dérobé plusieurs pièces de vers.