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avantageux qu’il fût, n’aurait pas ce caractère ; il serait pour les autres puissances un prétexte de chicane et provoquerait leurs prétentions. Il vaut mieux l’ajourner à une époque plus favorable. L’empereur alors sera satisfait de la justice et de la modération de la cour de Rome[1]. »


Il semble qu’après ces deux rapports envoyés de Fontainebleau, l’un par un officier de gendarmerie au ministre des cultes, l’autre par un archevêque au ministre d’état, toute idée de négociations avec le pape devait être indéfiniment ajournée. Il n’en fut rien cependant. Le 18 janvier, c’est-à-dire quinze jours après la réception des pièces qu’on vient de lire, M. le duc de Bassano mandait tout à coup chez lui M. de Beaumont; puis, à la suite d’une assez longue conférence, il lui remettait un projet de traité et la minute d’une lettre qui devait servir à l’accréditer en qualité de négociateur auprès de Pie VII. Par ce projet de traité, malgré ce qu’en a écrit le cardinal Pacca, dont les souvenirs ne sont pas sur ce point fort exacts, tous les états du saint-père lui étaient intégralement rendus, et cela sans aucune espèce de conditions[2]. Que s’était-il donc passé dans un si court intervalle? Deux faits considérables étaient survenus, et aggravaient de plus en plus la situation de l’empereur. Le Rhin avait été franchi, le 1er janvier 1814, sur trois points différens, et le roi Murat, après avoir traité avec nos ennemis, venait de s’emparer de la plus grande partie des états romains. Aucune intention généreuse n’avait donc dicté cette démarche inattendue de Napoléon. Elle lui était uniquement inspirée, comme l’explique très bien M. Thiers, par le désir de se venger de son beau-frère et d’opposer à ses projets ambitieux un insurmontable obstacle. Telle était si bien sa pensée qu’il ne prit même point la peine de la dissimuler. La lettre que, d’après ses ordres, M. de Bassano avait dictée à M. de Beaumont pour être remise à sa sainteté, s’exprimait à ce sujet sans aucun ambage. En voici les propres termes :


« Très saint père, je me suis rendu auprès de votre sainteté pour lui faire connaître que, le roi de Naples ayant conclu avec la coalition une alliance dont il paraît qu’un des objets est la réunion éventuelle de Rome à ses états, sa majesté l’empereur et roi a jugé conforme à la véritable politique de son empire et aux intérêts du peuple de Rome de remettre les états romains à votre sainteté. Elle préfère les voir entre ses mains plutôt qu’entre celles de tout autre souverain, quel qu’il soit. Je suis en

  1. Note remise au duc de Bassano, le 3 janvier 1814, par M. de Beaumont, archevêque de Bourges.
  2. Nous avons sous les yeux la minute de ce document, qui est longtemps resté entre les mains de M. de Beaumont. Ce qui explique l’erreur du cardinal Pacca, c’est que le pape ne voulut même pas prendre connaissance du projet de traité qui lui était présenté par l’archevêque de Bourges.