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avec les cardinaux et des termes où j’en suis avec eux. Ce qu’ils disent et font chez eux ne m’occupe pas et ne m’a jamais occupé. Je ne veux savoir de leur conduite et de leurs relations que les choses qui peuvent, dans les circonstances impérieuses où nous sommes, être en rapport avec la tranquillité publique. L’extrême franchise de mes discours et de mes opinions est en harmonie avec la publicité de mon caractère. Au surplus, je n’ai aucun motif d’alarme. Jamais nonnain de quatre-vingts ans, bien cagotte et bien caillette, ne se fit dans sa cellule des occupations plus mystiques et plus minutieuses que celles du pape dans le salon où il est confiné[1], »


Le commandant Lagorse, qui d’ailleurs se fait honneur en constatant qu’il avait refusé de se constituer l’espion de Pie VII et des membres du sacré-collège, s’est évidemment trompé en écrivant sur le ton badin les dernières lignes que nous venons de citer. Le pape, qu’il suppose livré à de puériles occupations, était, à l’instant même où cette lettre partait pour Paris, appliqué à rédiger et à transcrire de sa propre main une pièce importante qui, si elle était tombée sous ses yeux, n’aurait pas manqué d’exciter au plus haut point toutes les colères de Napoléon. C’était une allocution nommément adressée aux cardinaux qui habitaient Fontainebleau, mais qui, dans la pensée du souverain pontife, était en réalité destinée à l’église entière. Non-seulement Pie VII y renouvelait la rétractation formelle du concordat signé à Fontainebleau, mais il protestait avec la plus grande force contre le décret du 13 février et celui du 25 mars, insérés tous deux au Bulletin des lois. D’avance il s’élevait aussi avec une vivacité extrême contre la consécration canonique qui pourrait, en vertu de ces décrets, être un jour ou l’autre scandaleusement donnée aux évêques récemment nommés par l’empereur, « déclarant expressément nulle toute institution donnée par les métropolitains, les institués intrus, leurs actes de juridiction nuls, la consécration sacrilège, les institués et les consacrans schismatiques et sous le coup des peines voulues en pareil cas par les canons[2]. »

Cette bulle toute doctrinale était l’œuvre personnelle du saint-père. Juste à la même date, il adressait à l’impératrice Marie-Louise une lettre relative, celle-là, aux circonstances politiques du temps, et dont la teneur avait sans doute été préalablement concertée avec ses anciens secrétaires d’état, Consalvi et Pacca. A peine avait-elle en effet appris le gain de la bataille de Lutzen que, de son propre mouvement ou par suite des ordres de son époux, Marie-Louise

  1. M. le commandant de gendarmerie Lagorse à M. Bigot, ministre des cultes, 5 mars 1813.
  2. « A nos vénérables et très chers frères en Jésus-Christ, les cardinaux de la sainte église romaine qui demeurent à Fontainebleau. » — Allocution pontificale citée dans les Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 337.