Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/989

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier écu. Les mémoires des contemporains sont pleins de détails sur la façon dont les corps de l’état répondirent à ce cri d’alarme jeté par le grand capitaine en détresse. Il n’entre pas dans notre sujet de redire après tant d’autres comment le sénat conservateur, en votant silencieusement la conscription anticipée de 600,000 soldats imberbes, n’apporta à l’empire chancelant qu’un secours matériel bien précaire, tandis que le corps législatif lui porta moralement un coup mortel en réclamant des explications peut-être intempestives sur l’avortement des négociations de Prague; mais il nous appartenait de rechercher si, dans l’instant solennel où ses ardens efforts provoquaient toutes les classes de la nation à lui venir en aide, Napoléon n’avait pas aussi songé à s’adresser aux membres du clergé. Oui, cette idée lui était en effet venue, et il avait chargé son ministre des cultes d’écrire une circulaire aux évêques de l’empire et du royaume d’Italie, afin de leur demander leurs prières pour sa personne et les inviter à invoquer l’assistance du ciel en faveur de l’armée prodigieusement réduite qui allait avoir à défendre contre tant d’ennemis les frontières menacées de la patrie. Cette circulaire, qui devait comme d’habitude servir de texte aux mandemens des évêques, était embarrassante à rédiger. Il était difficile de ne leur point parler des revers éprouvés et surtout de leur dissimuler tous les périls de la situation. Afin de mieux exciter le zèle des prélats, M. Bigot de Préameneu en avait tracé le plus sombre tableau. Lorsqu’il eut pris connaissance de cet appel désespéré adressé au patriotisme du clergé de son empire, Napoléon, plus calme et plus avisé que son ministre, se demanda s’il était bien prudent de tenir un langage aussi clair. N’était-il pas à craindre que la perspective du triomphe des armées étrangères ne fût envisagée autrement qu’avec tristesse par la majorité des ecclésiastiques français? Se rappelant sans doute ses rigoureux décrets datés de Dresde et le silencieux dédain qu’il avait naguère gardé à l’égard de la dernière supplique de l’évêque de Nantes, il demeura convaincu, non sans raison à notre avis, que ce clergé, dont M. Duvoisin lui avait révélé les véritables sentimens, n’attendait plus désormais la fin de la captivité de Pie VII et sa propre délivrance que de la chute du régime impérial. C’est pourquoi il jeta de côté comme inutile et fâcheuse la circulaire de M. Bigot de Préameneu. Aussi bien les événemens allaient prononcer. Puisqu’il ne devait plus compter sur la sympathie de ceux qui, aux jours de la prospérité, lui avaient prodigué tant de flatteries, il lui semblait et plus digne et plus sûr de n’en point faire les confidens publics de sa mauvaise fortune. « J’ai reçu aujourd’hui votre projet de lettre, écrivait l’empereur à son ministre des cultes. Il y aurait trop d’inconvénient à écrire cette dépêche aux évêques, qui la publieraient partout. Il vaut mieux ne pas l’écrire, ou seulement cinq