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« Est-ce ainsi, lui répétait-il fréquemment, que l’on traite le chef de l’église? Voyez si le mal n’est pas à son comble! Au nom de la religion, faites donc entendre un cri de mère[1]. » Prenant lui-même la plume, il avait écrit au saint-père une lettre de condoléance qui avait été saisie à la poste et dont copie avait été mise sous les yeux de l’empereur. Du fond de la Russie, Napoléon furieux avait ordonné à son ministre des cultes d’annoncer à son oncle qu’en cas de récidive il serait conduit à Fenestrelle; mais cette perspective n’avait rien qui effrayât l’imagination montée de l’impétueux cardinal. Il chargea M. Bigot de faire savoir à son neveu que, loin de se repentir de ce qu’il avait fait, il était prêt à recommencer. « Dites-lui, écrivait-il fièrement, qu’il me sera doux de partager le sort de tant d’illustres confesseurs[2]. » Cependant l’empereur avait joint à la menace d’une détention possible à Fenestrelle une mesure immédiate qui toucha plus vivement le cardinal. En décret daté du 12 août 1812 avait supprimé tout à coup les 300,000 livres de rente que son oncle percevait sur l’octroi du Rhin en sa qualité d’ancien coadjuteur de Ratisbonne. Le coup avait été rude au cardinal, car il le frappait au moment où il était obligé de faire face à des dettes criardes contractées pour construire le somptueux hôtel de la rue du Mont-Blanc. Son exaspération avait d’abord été extrême, puis elle s’était peu à peu calmée lorsqu’il avait appris les victoires successivement remportées par son neveu sur les bords de la Vistule, du Dnieper et de l’Oder. Comme tous les évêques de l’empire, il s’était hâté d’adresser des actions de grâces au Dieu tout-puissant, « qui a doué notre monarque, disait-il dans son mandement, d’une âme si grande, d’une sagesse si profonde, qui a inspiré aux Français un courage si soutenu, une valeur si supérieure, et couvert le prince et ses sujets du manteau de sa protection particulière[3]. » Peu de temps après arrivaient à Lyon de tout autres nouvelles, à savoir l’incendie de Moscou, la retraite désastreuse de l’armée française et le brusque retour de Napoléon à Paris. « Le doigt de Dieu est ici manifeste, s’était écrié sans transition le cardinal Fesch. Il n’y a que Dieu qui ait pu abattre le colosse. C’est évidemment un châtiment du ciel; depuis celui de Pharaon, il n’y en a peut-être pas de plus frappant dans les annales du monde. — Que voulez-vous? continua-t-il, s’adressant à l’un de ses aumôniers prodigieusement étonné d’entendre de semblables paroles sortir de sa bouche, que voulez-vous? mon neveu est perdu, mais l’église est sauvée, oui, sauvée, car si l’empereur fût revenu triomphant de Moscou, sait-on jusqu’où il aurait porté ses

  1. Le cardinal Fesch, par l’abbé Lyonnet, t. II, p. 383.
  2. Ibid., t. Ier p. 417.
  3. Mandement de son éminence le cardinal Fesch après les batailles de Polotsk, de Smolensk et de la Moscowa.