Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/971

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

public des copies manuscrites. Le cardinal Pacca fit observer que ce procédé manquerait de loyauté et de bonne foi... Ne serait-ce pas donner à l’empereur de justes motifs de plainte? Autant vaudrait tirer à son ennemi un coup de pistolet par derrière. — Le cardinal Pacca proposait donc que le pape se rétractât par une lettre directement adressée et remise à l’empereur. Quelques objections s’élevèrent de la part de Pignatelli et Saluzzo; ils craignaient que, prévenu par cette lettre des intentions du saint-père, Napoléon n’employât tous les moyens en son pouvoir pour empêcher cette rétractation d’être portée à la connaissance du monde catholique. Consalvi et Litta ouvrirent l’avis que le pape donnât copie de sa lettre à tous les cardinaux avec invitation de la répandre par tous les moyens possibles. De cette manière, disaient-ils, nous sauvons les convenances, et nous trouverons tôt ou tard les moyens de divulguer la révocation du concordat. Les cardinaux présens approuvèrent cet expédient, et les cardinaux Mattei et di Pietro, qui étaient absens, y adhérèrent[1]. »

Les choses ainsi convenues, tous les obstacles n’étaient pas encore levés. Pour plus de précaution, les évêques tenaient à garder, comme document authentique, la minute de la lettre de sa sainteté. Il fallait que Pie VII écrivît de sa main la copie destinée à l’empereur. Or il était si faible, si abattu, qu’il pouvait à peine tracer quelques lignes par jour. Cependant la surveillance à laquelle le pape était soumis était de telle nature et si peu scrupuleuse qu’un employé de la police venait chaque jour, pendant qu’il célébrait sa messe, visiter sa chambre, ouvrait avec de fausses clés son bureau, ses armoires, et inspectait tous ses papiers. Pie VII, qui s’en était aperçu, ne pouvait donc laisser sans danger aucun écrit dans ses appartemens. Voici comment on se tira d’affaire : chaque matin, au retour de la messe, les cardinaux di Pietro et Consalvi apportaient à Pie VII le papier sur lequel il avait déjà écrit la veille, et le pape y ajoutait quelques lignes. Vers les quatre heures de l’après-midi, le cardinal Pacca entrait dans les appartemens du saint-père, et la même opération se renouvelait. Pacca cachait ensuite la minute et la copie sous ses habits, et les portait dans la maison qu’habitait le cardinal Pignatelli. Plus d’une fois le saint-père fut obligé de recommencer son travail, soit à cause de quelque changement apporté à la minute, soit à cause de quelque accident provenant de son chef. «Je me souviens, ajoute le cardinal Pacca, à qui nous devons ces détails, qu’au moment où je traversais le château muni de ces papiers, et tandis que je passais devant les sentinelles, la crainte d’être fouillé me mettait dans une telle agitation que j’étouffais de chaleur malgré l’air glacial de la saison[2]. »

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 327.
  2. Ibid.