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depuis la signature fatale du concordat. Dans l’avis émis par ces trois vaillans champions de la bonne cause, il crut reconnaître le jugement de Dieu même sur sa conduite, et, de plus en plus plongé dans un morne accablement, il alla jusqu’à s’interdire de célébrer désormais le saint sacrifice[1]. Lorsque le cardinal Pacca, le 18 février 1813, arriva au palais de Fontainebleau, son effroi fut extrême en voyant devant lui le malheureux pontife courbé, pâle, amaigri, les yeux enfoncés, presque éteints et immobiles. Un tel aspect émut de pitié l’ancien prisonnier de Fenestrelle, et comme il se précipitait aux pieds de Pie VII et le félicitait du courage avec lequel il avait supporté une si longue captivité, celui-ci reprit avec tristesse : « Cependant nous avons, hélas! fini par nous rouler dans la fange... Ces cardinaux m’ont traîné devant ce bureau et m’ont fait signer[2]... » Au lendemain de cette première audience, qui fut très courte, parce que le pape attendait la visite des évêques français, le cardinal Pacca trouva le saint-père dans un état plus pitoyable encore, et qui donnait à craindre pour ses jours. Après avoir de nouveau gémi sur ce qu’il appelait sa faute, dont il avait, disait-il, conçu la plus profonde horreur, Pie VII avoua à son ancien secrétaire d’état qu’il passait les nuits sans dormir, que le jour il prenait à peine la nourriture nécessaire pour ne pas défaillir. Une pensée affreuse l’obsédait continuellement, c’était la crainte de devenir fou et de finir comme Clément XIV[3]. Pour calmer un peu son maître, Pacca lui représenta qu’il se verrait bientôt entouré de tous les cardinaux, dont quelques-uns lui avaient donné tant de preuves de zèle pour le saint-siège et de dévoûment à sa personne. Aidé de leurs conseils, il pourrait alors remédier au mal qui avait été fait. À ces mots, la physionomie de Pie VII s’était un peu ranimée. « Quoi! vous croyez qu’on y pourrait remédier? — A presque tous les maux, lorsqu’on le veut bien, on trouve un remède[4], » avait repris le confident du saint-père. Cette perspective servit à tranquilliser pour le moment le malheureux pontife, qui attendait le soir même Consalvi à Fontainebleau. On n’a pas oublié quelle confiance de vieille date Pie VII avait dans les lumières de cet ancien secrétaire d’état, dont l’empereur l’avait obligé de se séparer, mais pour lequel il avait conservé la plus vive tendresse. C’était Consalvi qui avait en tout temps exercé sur les déterminations du saint-père l’influence la plus décisive, et c’était sur lui qu’il comptait alors beaucoup plus encore que sur le cardinal Pacca pour le tirer de ces embarras cruels.

  1. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 266.
  2. « Ma ci siamo in fine sporcificati (sporcati)... Quei cardinal!... mi strascinarono al tavolino e mi fecero sottoscrivere. » Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 266.
  3. Œuvres complètes du cardinal Pacca, t. Ier, p. 267.
  4. Ibid.