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là où ces rapports sont restés les mêmes, les prix n’ont pas varié. La stagnation des loyers loin des grands centres en est la preuve. Les maisons ne se transportent pas comme les denrées alimentaires, et si le nombre des habitans ne s’est pas élevé, quelle que soit du reste la richesse acquise, le loyer n’augmente pas. Il a fort augmenté à Paris, parce que la population s’y est tellement accrue par des causes naturelles et artificielles que les logemens y ont été insuffisans, et qu’il a fallu en construire de nouveaux. Je citerai encore dans le même ordre d’idées le taux des salaires et de la main-d’œuvre. Les salaires ont assurément monté beaucoup en France et partout depuis un certain nombre d’années : nous avons évalué la moyenne de cette élévation à 30 pour 100; mais ils n’ont pas monté également dans toutes les localités, et le niveau n’existe pas là comme pour les denrées alimentaires, comme pour tous les autres produits. On peut lire dans la Statistique générale de la France pour 1862, due aux recherches de M. Legoyt, que l’ouvrier agricole, qui en dehors de la moisson gagne aux environs de Paris 3 fr. 10 cent, par jour, sans être nourri, 2 fr. 55 cent, dans le département de Seine-et-Oise, 2 fr. 05 cent, dans celui de Seine-et-Marne, ne gagne que 1 fr. 18 cent, dans le Morbihan, 1 fr. 14 cent, dans le Finistère et 1 fr. 44 cent, dans les Landes; c’est une différence de plus de 100 pour 100, et, les environs de Paris mis à part, l’inégalité des salaires en moyenne est bien au moins de 25 à 30 pour 100. Les faits relevés en 1862 doivent être encore à peu près les mêmes aujourd’hui, et ils s’appliquent aux ouvriers des autres professions aussi bien qu’à ceux de l’agriculture. Cela tient à ce que la main-d’œuvre, bien que se déplaçant plus aisément que les maisons, n’obéit pourtant pas toujours à la loi exclusive de l’intérêt. L’ouvrier est retenu dans le pays où il est né, où il a vécu, par des considérations diverses : il y a une famille, des relations, quelquefois une petite propriété; il n’abandonnera pas volontiers tout cela pour aller gagner 25 ou 30 pour 100 de plus ailleurs en courant tous les risques du chômage et de l’incertitude. C’est ce qui fait que, malgré les chemins de fer et malgré les facilités de locomotion, il ne peut pas y avoir égalité absolue dans les salaires. Les trop grandes inégalités s’effacent; mais il reste toujours ce qui ne peut pas s’effacer, ce qui tient à la nature de l’homme. Or, si l’égalité s’accomplit pour tous les produits qui se transportent aisément, si l’inégalité persiste pour tout ce qui ne se transporte pas ou ce qui est retenu par des considérations particulières, c’est bien la preuve que la cause qui agit principalement sur les prix n’est pas la dépréciation des métaux précieux. Autrement, en ce qui concerne les logemens par exemple, il y aurait eu augmentation générale des loyers par