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sont autre chose que des instrumens de circulation; ils sont les moteurs en même temps que les véhicules de la richesse, ils servent à la faire naître aussi bien qu’à l’échanger. C’est absolument comme lorsqu’il s’agit d’ouvrir des voies nouvelles au commerce. Il n’y en a jamais trop, l’expansion de l’activité humaine ne tarde pas à les remplir toutes et à les rendre insuffisantes. Qui aurait prédit, lorsqu’on créait en France des chemins de fer, le développement qu’ils prendraient? Qui aurait deviné que le trafic décuplerait, centuplerait aussi vite, que les gares seraient bientôt trop étroites, le matériel d’exploitation insuffisant? Eh bien! il en est de même pour la monnaie. L’or aura beau devenir très abondant, il trouvera toujours des débouchés, et plus il en arrivera, plus il y aura d’activité commerciale pour l’absorber. Voilà le côté vrai de la question, celui qu’il aurait fallu envisager au lieu de conclure à une dépréciation des métaux précieux par une moyenne générale tirée de la variation des prix. C’était négliger les grandes considérations pour ne s’attacher qu’aux petites.

Un autre économiste anglais également distingué, M. Cliffe Leslie, a mieux vu les choses. Il a montré que les modifications survenues dans les prix étaient en général beaucoup plus le fait des communications faciles que celui d’un changement dans la valeur des métaux précieux. Après la découverte de l’Amérique, le principal effet de l’importation du numéraire se fit sentir dans les villes, dans les grands centres industrieux ; cela se comprend : il n’y avait que là qu’il pût trouver un emploi, et comme cet emploi était en définitive très restreint, il s’ensuivit une modification sérieuse dans les prix. Il ne faudrait pas croire qu’elle existât au même degré dans les campagnes : les tableaux qu’on nous donne, et qui ont servi à faire des comparaisons à diverses époques, sont relevés dans les villes, sur les principaux marchés; ils n’indiquent pas les prix des campagnes, qui devaient être tout différens. On peut en juger par ce qui se passait encore autour de nous il y a quelques années. On se souvient qu’avant les chemins de fer, lorsque la France était divisée en zones pour l’établissement des mercuriales nécessaires à la taxe du pain, il y avait souvent entre ces zones des écarts de 5 et 6 fr. par hectolitre de blé; nous nous souvenons aussi d’avoir vu la viande se vendre 40 et 50 centimes la livre à vingt-cinq et trente lieues de Paris, lorsqu’elle en valait 70 et 80 dans la capitale; de même pour les légumes, pour les fruits, pour toutes les denrées d’un transport coûteux et difficile. Cette situation est aujourd’hui singulièrement modifiée. Le prix du blé tend à se mettre partout en France à un niveau commun; celui de la viande et des denrées alimentaires varie bien moins qu’autrefois suivant les localités. Qu’est--