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lieu, l’illusion n’est plus possible. Que dire aussi de la fixité du prix du blé ? Voilà une denrée qui coûte toujours à peu près les mêmes frais à produire, qui a servi depuis des siècles à mesurer la valeur de la monnaie, qui en a suivi toutes les fluctuations, et qui est encore au même taux qu’il y a vingt ans. L’hectolitre de blé se vend en moyenne 18 fr., comme avant 1848 ; il a même été à 16 et 15 fr. il y a quelques années. Il serait difficile d’expliquer cette fixité, s’il y avait eu des changemens dans la valeur des métaux précieux, et qu’ils eussent atteint les proportions qu’on suppose. Pour prouver ces changemens, on est allé jusqu’à chercher des exemples dans l’Inde ; on a choisi les époques où l’on a importé dans ce pays les plus grandes quantités de numéraire ; on a montré les prix qui ont suivi pour ce qu’on appelle les produits orientaux, et, quand on a trouvé de la hausse, on en a conclu, comme pour la moyenne établie sur les faits observés en Europe, que la dépréciation était marquée par cette hausse. Or nous avons étudié les tableaux dont on s’est servi pour cette assertion, et nous sommes loin d’y avoir vu la démonstration de ce qu’on avance. Durant la période qui s’étend de 1835 à 1845, il y a eu dans l’Inde une importation de métaux précieux beaucoup plus considérable que dans les dix années précédentes, 525 millions contre 300. Néanmoins dans les cinq années qui ont suivi, de 1845 à 1850, les prix n’ont pas monté, ils ont été au contraire de plus de 20 pour 100 au-dessous de la moyenne de 1830 à 1835. Ils ont baissé de même après les fortes importations de 1855 à 1857, ils ne se sont relevés qu’au moment où l’on a commencé à créer dans ce pays de nouvelles voies de communication, à établir des chemins de fer, à élargir les débouchés, c’est-à-dire au moment où l’activité commerciale a pu prendre un certain essor. C’est donc toujours à la même cause, au progrès de la richesse publique, qu’il faut attribuer la hausse.


III.

Voyons maintenant quelle a été, depuis la découverte des mines d’or de la Californie et de l’Australie, cette production des métaux précieux qui en aurait fait baisser la valeur. En 1848, selon MM. Tooke et Newmarch, il pouvait y avoir en Europe et en Amérique, dans ce qu’on appelle le monde civilisé, 34 milliards de métaux précieux, dont 20 en argent et 14 en or. Depuis, les mines de la Californie et de l’Australie, en y comprenant aussi celles de la Russie, y ont ajouté de 10 à 12 milliards, défalcation faite des réexportations et de l’usure. Nous aurions donc aujourd’hui 46 milliards