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Que s’était-il passé pour que les résultats aient été si différens avant et après 1640 ? Il s’était passé ce simple fait, que les marchés s’étaient agrandis, et que les métaux précieux avaient trouvé des débouchés qu’ils n’avaient pas auparavant. De 1492 à 1640, toute la production des mines de l’Amérique était venue se concentrer en Europe. Elle n’avait pas d’emploi ailleurs, et, comme là encore cet emploi était très restreint à cause du peu d’activité du commerce, elle ne tarda point à dépasser les besoins et à causer des perturbations sérieuses dans les prix. Cependant il est très digne de remarque que ces perturbations n’ont pas suivi l’accroissement de l’or et de l’argent, puisque cet accroissement avait été de 600 pour 100, et que la baisse des prix n’alla pas au-delà de 200 pour 100. Après 1640, le commerce et l’industrie s’étaient beaucoup développés; l’Inde et quelques parties de l’Asie étaient entrées en relations avec l’Europe; elles nous envoyaient leurs produits et prenaient en échange une part de nos métaux précieux. M. Jacob calcule que, pendant le XVIIIe siècle ou plutôt pendant cent dix ans, de 1700 à 1809, nous avons envoyé dans ces pays lointains 8 milliards 800 millions. Ajoutez à cela que l’emploi de l’or et de l’argent pour les usages industriels et surtout pour l’ornementation avait aussi beaucoup augmenté. En France, on venait de traverser le règne fastueux de Louis XIV, on assistait aux prodigalités de la régence et du règne de Louis XV; en Angleterre, on inaugurait, avec la nouvelle dynastie qui avait succédé aux Stuarts, une ère de grandeur et de prospérité. M. Jacob évalue à une somme non moins forte que celle de l’exportation vers l’Orient la quantité de métaux précieux qui furent convertis, dans la même période de cent dix ans, en articles d’ornement ou consacrés à des usages industriels; après avoir retranché encore ce qui a été perdu par le frai ou autrement, il arrive à constater que, sur les 27 milliards de la production brute, il ne restait guère que 2 milliards pour grossir le stock monétaire des pays civilisés. Mettons 4 milliards, si on trouve le premier chiffre trop faible. Cela explique comment les prix n’ont pas sensiblement varié pendant ce long laps de temps.

Ce qu’il importe encore de distinguer, c’est le rapport de la production à la quantité en réserve selon les époques. De 1546 à 1600, d’après MM. Tooke et Newmarch, la production par année est de 50 millions, et représente 2 1/2 pour 100 du stock existant. De 1600 à 1700, elle monte à 83 millions par an, et n’est plus que de 2 pour 100 de la réserve d’alors, et même de 1 1/2 pour 100, si on prend comme point de départ l’année 1640. Pendant le cours du XVIIIe siècle, avec 200 millions, elle ne représente que 1 1/4 pour