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l’an 1640, c’est-à-dire qu’il fallait à cette époque trois fois plus d’argent qu’en 1492 pour acheter la même quantité de blé. On a pris le blé pour élément de comparaison d’abord parce qu’on n’en avait pas d’autre, — il n’y a que le blé pour lequel existent des séries de prix remontant assez haut et ayant un certain caractère d’exactitude, — ensuite parce que, considérée dans un laps de plusieurs siècles, c’est la denrée qui présente le plus de fixité, non qu’on ait toujours à en produire la même quantité : il est bien évident qu’à mesure que la population s’accroît et devient plus aisée, on en consomme davantage; mais cette consommation n’est pas susceptible de s’étendre indéfiniment, elle reste toujours très limitée. On ne mange pas beaucoup plus de pain parce qu’on est plus riche, et on peut trouver dans des améliorations agricoles les moyens d’en produire davantage, de suffire aux besoins sans augmentation des frais. De là la fixité des prix. Cette fixité est sans doute troublée de temps à autre par de mauvaises récoltes, par les guerres, par des obstacles à la liberté des transactions ou des transports, par d’autres causes encore; pourtant, si on écarte les années exceptionnelles, qu’il est facile de reconnaître à l’exagération des prix en hausse ou en baisse, et qu’on établisse ensuite des moyennes sur de longues périodes, c’est encore la mesure la plus exacte pour indiquer la valeur des métaux précieux à diverses époques.

De 1570 à 1640, la production annuelle de ces métaux, consistant principalement en argent, avait été, déduction faite de l’usure et de la perte, de 70 millions de francs, et, pour la période totale de 1492 à 1640, de 6 milliards 584 millions[1]. Retranchons-en, pour perte ou pour usure, environ 1 milliard; restent nets 5 milliards 584 millions, qui sont venus s’ajouter au stock métallique que l’Europe possédait avant 1492. M. Jacob évalue ce dernier à 825 millions, et MM. Tooke et Newmarch, dans leur Histoire des prix, le portent à 1 milliard. Il se serait donc accru d’environ 600 pour 100, tandis

  1. Cette production se répartit ainsi suivant les époques : ¬¬¬
    Epoques Production totale Production annuelle
    1492 à 1521 37 millions. 1,300,000 fr.
    1521 à 1545 392 — 15,750,000 fr.
    1545 à 1600 2,835 — 52,500,000 fr.
    1600 à 1640 3,320 — 83,500,000 fr.
    6,584 millions.

    Dans les trois premières périodes, les chiffres indiqués ne se rapportent qu’à la production des mines américaines; dans la quatrième, on y a joint les métaux extraits en Europe.