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ses premiers travaux, ne sont pas les seules difficultés dont il ait à triompher; il en trouve d’abord d’autres en lui-même. D’ordinaire il est mal préparé aux études qu’il entreprend. L’éducation à l’École normale est toute pédagogique, et il est difficile qu’elle soit autre chose. On ne lui a donc appris que son métier de professeur, il ne sait rien en dehors de ce qu’il doit enseigner dans les lycées. C’est à peine s’il a entendu parler de la philologie, de la grammaire, de la mythologie comparées; il ne pourrait pas lire une inscription. Tous ces premiers principes qu’il est aisé d’apprendre en quelques leçons, il les ignore, et il ne connaît pas les livres où il les trouverait. Il marche donc seul et au hasard, s’égarant dès les premiers pas dans des erreurs depuis longtemps réfutées ou faisant péniblement des découvertes qui sont connues de tout le monde. Il use ses forces et sa vie à connaître ce qu’un étudiant de Bonn ou de Berlin apprend sans peine en deux ou trois ans dans son université. En Allemagne, aucun effort, aucun travail n’est perdu. Le jeune docteur qui quitte ses maîtres et qui sait ce qu’ils savent peut se flatter d’aller plus loin qu’eux. Nous autres au contraire, qui n’avons pas de traditions scientifiques, nous recommençons sans cesse. Personne chez nous ne profite de ses devanciers et ne sert à ses successeurs. « Chaque écrivain, dit M. Bréal, prenant la science à son origine, s’en constitue le fondateur et en établit les premières assises. Par une conséquence naturelle, la science, qui change continuellement de terrain, de plan et d’architecte, reste toujours à ses fondations. » C’est pour remédier à ce mal que M. Duruy a fondé l’Ecole des hautes études. Il a voulu qu’un jeune homme qui sent en lui la vocation d’être non pas seulement un professeur, mais un savant, trouvât quelque part un enseignement qui le préparât à ses travaux solitaires, qu’en vivant quelques années auprès d’un maître il apprît de lui, et en le voyant faire, le moyen de marcher seul et plus tard de le dépasser; mais l’école commence à peine, et jusqu’à présent le jeune érudit a été réduit à tout tirer de lui-même.

Ces premières difficultés vaincues, le malheureux peut être sûr d’en trouver beaucoup d’autres dans les dispositions malveillantes des gens qui l’entourent. Ceux qui ne veulent pas travailler et qui se tirent d’affaire avec ce scepticisme léger qui couvre tant d’ignorances se moqueront agréablement de lui. Il ne sera pas difficile de rire des sujets qu’il traite, et qui sont en général d’une petite étendue. Que de bonnes plaisanteries ne faisait-on pas de Champollion pendant qu’il découvrait l’art de déchiffrer les hiéroglyphes! L’autorité, si elle est vigilante, finira par s’en mêler aussi. La première pensée de son proviseur, en le voyant si occupé de travaux étrangers à sa classe, sera de se défier. — La défiance est chez nous