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sûrément à cet usage que notre littérature doit d’être devenue la mieux ordonnée et la plus élégante de l’univers. L’auteur ancien qu’on étudiait n’intéressait guère que par ses côtés les plus généraux. Ceux qui le lisaient s’occupaient moins de lui que d’eux-mêmes. « On aime tant, disait Mme de Sévigné, à entendre parler de soi ! « Aussi voulait-on se retrouver partout. On ne cherchait dans Cicéron et dans Horace que ces tableaux de mœurs, ces nuances de caractère, ces fines observations, qui peuvent s’appliquer à tous les temps ; on se contentait d’en extraire ces réflexions délicates qui sont d’usage dans la vie. Il suffisait donc d’en expliquer des morceaux choisis, en petite quantité. L’explication était longue et minutieuse. Le professeur faisait ressortir la propriété de chaque mot, la finesse de chaque pensée, l’habile liaison des phrases, et voulait trouver partout un dessein profond. L’écrivain disparaissait sous le commentaire ; il n’était plus qu’un texte sur lequel on construisait avec complaisance tout un exercice laborieux de pensée et de style. Ce système d’enseignement est tout à fait français ; aucun peuple ne l’a complètement imité. Il convenait à une société polie où régnait le besoin de se réunir et de vivre ensemble, où l’étude des mœurs, le spectacle des passions, le charme des entretiens, étaient l’intérêt principal de la vie. Il a fait de la France la nation la plus lettrée et la plus humaine du monde, et comme en réalité, malgré nos révolutions, nous n’avons pas tout à fait perdu ces mérites, comme nous avons conservé mieux que tout autre peuple le goût des plaisirs de l’esprit, et que les succès littéraires sont encore ce qui distingue le plus chez nous, je crois que nous ne devons pas entièrement renoncer à un système qui nous a donné la seule originalité que nous ayons, et qu’il faut que le fond de notre enseignement reste le même. Une nation ne doit pas se hasarder à perdre les qualités qu’elle possède pour aller à la conquête de qualités nouvelles qu’elle peut manquer.

Il est sûr cependant que ce n’est plus pour le monde que nous formons nos élèves. Ce qui les attend au sortir des écoles, ce ne sont plus ces sociétés polies et lettrées, ces agréables loisirs qu’on occupait à des entretiens charmans ; c’est une mêlée active et bruyante où l’élégance de l’esprit et la distinction des manières ont moins de prix que la vigueur des caractères et l’énergie des résolutions. Cette situation nouvelle crée à l’éducation des devoirs nouveaux. L’étude des auteurs anciens, comme on la faisait au XVIIe siècle, était pour cette époque la meilleure préparation à la vie ; est-il impossible qu’elle nous rende aujourd’hui le même service ? Faut-il croire que ce monde d’autrefois n’ait rien à nous apprendre sur celui d’aujourd’hui ? Rollin disait en parlant de l’histoire ancienne :