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rable. Il n’en était pas tout à fait ainsi autrefois, et nous savons par exemple que dans l’ancienne Université les auteurs latins étaient étudiés avec plus de passion qu’aujourd’hui. Aussi s’en souvenait-on dans le monde. Les relire était un plaisir qu’on aimait à se donner dès qu’on avait le temps; les sociétés élégantes étaient pleines de gens qui les citaient volontiers, et la seule littérature des académies de province consistait à les imiter ou à les traduire en vers. Ce goût s’est fort attiédi, il faut l’avouer; l’écolier ne les feuillette plus qu’avec distraction quand il fait ses classes, et il cesse de les ouvrir dès qu’il en est sorti. Ces grands auteurs, si vivans autrefois, semblent n’être plus aujourd’hui dans les usages et dans le commerce du monde. Est-ce à dire que leur temps soit passé, et qu’on doive se résigner à les bannir de l’enseignement? Quelques personnes l’ont prétendu; on a écrit dans des livres importans, on a soutenu devant des assemblées politiques, que l’éducation de la jeunesse ne devait plus se faire que par les langues modernes et par les sciences. Le bon sens public résiste à cette opinion. En Angleterre, dans cette enquête solennelle dont j’ai parlé et qu’on a ouverte au sujet de l’enseignement secondaire, l’instruction classique a trouvé de vigoureux défenseurs; les plus grands esprits, M. Stuart Mill, M. Gladstone, se sont déclarés pour lui. « Je crois, a dit un des professeurs d’Eton, que le système de nos études est vrai dans ses trois principes fondamentaux : d’abord que l’éducation doit être générale et non professionnelle, en second lieu que c’est la littérature et non la science qui doit en être la base, enfin que le meilleur instrument d’une éducation littéraire, c’est la littérature grecque et la littérature latine. » Voilà les vrais principes. Il n’en est pas moins certain que les chefs-d’œuvre de ces littératures ne sont plus étudiés qu’avec indifférence. Le mal est d’autant plus sérieux qu’il n’est pas de ceux qui se guérissent par décret. L’intervention de l’autorité, notre refuge habituel, serait impuissante à le supprimer ; il ne dépend pas d’un ministre de l’instruction publique, si puissant qu’il soit, de forcer les élèves inattentifs à s’intéresser aux choses qui les ennuient. Le seul moyen d’y parvenir est de les rendre intéressantes.

C’est ce qui, je le reconnais, est beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Il faut pourtant l’essayer; il faut apporter quelques modifications dans la manière dont nous étudions les auteurs anciens. Ils auront plus d’intérêt pour nous, si nous les abordons plus résolument par les côtés qui conviennent à notre temps et peuvent lui être utiles. Ici nous rencontrerons, je le sais, beaucoup de résistances; on opposera à ces changemens nécessaires la haine des nouveautés et le respect des traditions. Les méthodes d’enseignement ont coutume de se défendre avec énergie; c’est pourtant un prin-