Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/930

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les barrières seront forcées, et que les sciences physiques, les langues vivantes et l’histoire ne tarderont pas à pénétrer jusque dans ces vénérables sanctuaires où la routine s’appelle tradition. Ce n’est pas le moment, comme on voit, de les chasser tout à fait de chez nous, et il serait dangereux de mécontenter l’opinion publique par des suppressions radicales. Tout le monde est d’accord en principe qu’il convient de réduire les programmes des lycées; mais il n’est pas facile de dire ce qu’on en peut ôter sans danger. C’est un problème délicat que tous les ministres se sont posé depuis 1830, et qu’ils n’ont pas résolu.

On est d’accord aussi qu’il faut beaucoup simplifier le baccalauréat; quelques-uns même ont parlé de le détruire. Depuis 1848, il est suspect à beaucoup de personnes. Le paradoxe de Bastiat, qui le rendait responsable des malheurs publics, fut bien accueilli à ce moment. On prétendait qu’il ne peut faire que des mécontens et de révoltés. « Le diplôme de bachelier, disait spirituellement M. Albert de Broglie, est une lettre de change souscrite par la société, et qui doit être tôt ou tard payée en fonctions publiques. Si elle n’est pas payée à l’échéance, nous avons cette contrainte par corps qu’on appelle une révolution. » C’était aller bien loin et attacher au diplôme plus d’importance qu’il n’en mérite. Il n’est que la constatation des études faites, et ne peut pas être refusé à ceux qui ont achevé leurs classes avec quelque succès. Le mal, s’il y en a un, est non à la sortie des collèges, mais à l’entrée. L’instruction qu’on vient y chercher crée quelquefois des ambitions que la société ne peut pas satisfaire, et qui menacent son repos. On dit qu’au nord de l’Allemagne, sur la frontière du Holstein, le paysan, qui a fait ses études, lit quelquefois Virgile en menant sa charrue; c’est une exception, et d’ordinaire on s’éloigne de la charrue quand on est capable de comprendre les Géorgiques. Lorsqu’on a vécu quelque temps dans ce monde d’élégance et d’aristocratie que la littérature nous révèle, il est malaisé de reprendre l’humble métier de son père. C’est peut-être un danger; mais qu’y faire? Est-il possible d’établir des castes, comme il y en avait dans l’ancienne Égypte, et de décréter pour tous ceux qui n’ont pas un certain chiffre de revenus l’ignorance obligatoire? Faudra-t-il payer 200 francs d’impôt pour avoir le droit d’apprendre le latin, comme autrefois pour être électeur? Personne n’y songe assurément. Le mieux est donc pour tout le monde de se résigner à cette diffusion de l’instruction, qui est la suite nécessaire du règne de la démocratie. Lucrèce se plaignait déjà de ces foules qui se pressaient de son temps dans tous les chemins de la fortune. Elles sont bien plus nombreuses aujourd’hui qu’aucune fonction n’est fermée à personne. Aussi beaucoup tombent sur la route, beaucoup se plaignent