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froissait les plus résignés. Ceux qui se permirent de trouver que la bifurcation avait quelques défauts, et qui eurent l’audace de le dire, furent destitués. Non-seulement il fallait obéir en silence, mais tout le monde reçut l’ordre d’être enchanté. Ce ne fut donc plus du haut en bas de l’Université, et principalement parmi les hauts dignitaires, qu’une conspiration de mensonge qui voulait faire croire au public qu’on était aussi satisfait que possible, et que le salut de l’enseignement était assuré. Quoique tout le monde le dît, personne ne le croyait, si ce n’est le ministre. M. Fortoul ne pouvait contempler sans la plus vive admiration l’ingénieuse machine qu’il avait construite. Il était surtout charmé de lui voir des mouvemens si réguliers. Rien n’était laissé à l’imprévu. Les précautions les plus minutieuses avaient été prises pour qu’on fît partout la même chose à la même heure. Tous les professeurs de mathématiques de France développaient les mêmes théorèmes de la même façon et le même jour. On avait réglé le nombre de minutes pendant lesquelles le professeur de lettres devait faire réciter les leçons, dicter les devoirs, expliquer les auteurs. C’était une mécanique que le ministre remontait tous les matins et dont il avait la clé dans sa poche. Ce bel ordre lui causait un plaisir qui déborde dans son rapport à l’empereur (24 septembre 1853). Ce rapport, où il célèbre «les bases de l’instruction publique renouvelées, la réforme pénétrant jusque dans les derniers détails des écoles de l’état, » commence par ces paroles triomphantes : « l’année 1852 marquera dans les fastes de l’Université de France ! »

On sait ce qu’il arriva de ces belles promesses. M. Fortoul mourut subitement trois ans plus tard, et son système fut emporté avec lui; mais il n’a pas disparu sans laisser de traces : il avait suffi qu’il fût appliqué quelques années pour que l’enseignement public s’abaissât partout. C’est ainsi que « l’année 1852 marqua dans les fastes de l’Université de France! » Non-seulement les études littéraires avaient été amoindries et désertées, mais les sciences aussi avaient souffert de ce projet, qui prétendait les favoriser. Le concours général, les examens de l’École polytechnique, révélèrent un affaiblissement notable dans l’instruction des élèves. Les ministres qui suivirent, M. Rouland et M. Duruy, virent le mal et y portèrent remède. On démolit pièce à pièce ce bel édifice qu’avait construit M. Fortoul, et l’on remit à peu près les choses en l’état où elles se trouvaient avant la bifurcation. Est-ce à dire pourtant que rien ne soit changé depuis 1850? Je ne le crois pas, et la situation de l’instruction publique me paraît bien meilleure qu’elle ne l’était alors. Il faut espérer que les épreuves qu’elle a traversées n’auront pas été perdues pour elle : on ne croit plus à la toute-puissance des décrets, on est convaincu que, pour faire des réformes qui durent,