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Paul, il est vrai, n’est pas un pur contemplatif; c’est un homme d’action. Sa pensée fut toujours militante, jamais au repos. En est-il moins grand? Jésus aussi n’a-t-il pas agi, n’a-t-il pas disputé, n’a-t-il pas aussi connu l’ironie et la colère? Nulle révolution ne se fait sans résistance, et la résistance appelle la lutte; mais Paul s’est-il agité dans le vide? N’est-il pas un moraliste incomparable et un vrai maître dans la direction des consciences? Quel point de la morale pratique n’a-t-il pas touché, et avec quelle sûreté et quelle délicatesse ! M. Renan le met au-dessous de saint François d’Assise et de l’auteur de l’Imitation. Ce dernier, qui n’a connu du christianisme que l’esprit de détachement, n’a écrit que pour les âmes malades ou blessées. C’est un consolateur; il aide à mourir plus qu’à vivre. Le mysticisme de saint Paul est plus sain et moins dangereux. Il ne vous dégoûte pas des virils devoirs de la vie active. François d’Assise, quelque digne d’admiration que soit son dévoûment, n’a rien fondé qu’on puisse mettre en face de l’œuvre de Paul. Et qu’eussent-ils fait l’un et l’autre, si Paul n’avait ouvert les sillons où ils ont semé? Certes aucun des deux n’a servi aussi largement que Paul la cause de l’idéal.

La théorie du salut par la foi, écrit M. Renan, ne dit rien au peuple. Dans la théologie de Paul en effet, il y a bien des choses choquantes pour la raison : l’inutilité des œuvres, la justification par la grâce, c’est-à-dire le salut accordé par une pure faveur de Dieu, non comme le prix du mérite, la prédestination des élus. La raison réclame contre cet avilissement systématique de la volonté humaine. La conscience répugne à cette déclaration que nous ne valons point par nos efforts et ne sommes rien par nos actes, que c’est Dieu seul qui nous fait vouloir et agir, lui seul aussi qui élève ou abaisse, corrige ou endurcit, sauve ou perd, damne ou glorifie qui lui plaît. Le vase ne peut dire au potier : Pourquoi m’as-tu fait ainsi? mais l’homme, si humble qu’il soit, ne peut se considérer comme un vase de terre. La doctrine de l’inutilité des œuvres et du salut gratuit est le renversement du sens humain et la négation de la morale. Tout cela est vrai; pourtant, si l’on néglige ces théories, si l’on cherche à dégager la pensée religieuse de ces formules arides et plus que contestables, quelle largeur, quelle simplicité, quel profond sentiment de la vérité éternelle, quel souffle puissant de liberté ! La vie religieuse réside dans l’homme intérieur. Les pratiques pieuses sont par elles-mêmes sans valeur. Le ciel appartient, non à la dévotion minutieuse jusqu’au scrupule, mais à la vraie piété, qui est au fond du cœur et se découvre à Dieu seul, à la foi naïve et pure, à l’amour surtout, qui est encore supérieur à la foi. « Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, a dit saint Paul dans un