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le dit ailleurs avec raison, que Jésus, s’il eût vécu, « eût percés de ses plus fines railleries. » Ils n’ont rien ni de sa largeur d’esprit ni de sa divine tolérance. Ils n’aiment pas les étrangers ; ils les voient d’un œil jaloux entrer dans la société dont ils sont les chefs ; ils veulent à tout prix les soumettre à l’intolérable servitude de leurs pratiques. Il n’a pas dépendu d’eux d’empêcher l’éclosion et l’épanouissement de l’esprit nouveau ; ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour y mettre obstacle. C’est ainsi du moins que, d’après l’ouvrage de M. Renan, on comprend les douze. Je crois profondément qu’il est dans le vrai. Comment conclure qu’ils sont supérieurs à Paul ?

Des douze, les deux qui nous sont le mieux connus le sont encore fort peu, c’est Pierre et Jean. Ce dernier est à peine nommé dans les Actes et dans les Épîtres de Paul. On peut induire du seul témoignage de Paul qu’il était au nombre de ces personnages plus qu’apôtres dont on lui opposait l’autorité. S’il est l’auteur de l’Apocalypse, ce qui est probable et ce qui exclurait l’idée de lui attribuer le quatrième Évangile, c’est un adversaire de Paul, c’est-à-dire un judaïsant, un défenseur de la circoncision, un de ces esprits étroits que Jésus n’eût pas acceptés comme ses vrais interprètes. Dans l’ombre où il est resté, et avec si peu d’indications précises, en quoi et par où Jean est-il supérieur à Paul ? Pierre n’est pas beaucoup mieux connu. Celui que la tradition représente comme le roc solide sur lequel Jésus a bâti son église paraît avoir été un homme mou et sans caractère. « Pierre, dit M. Renan, aima Jésus, le comprit, et fut, ce semble, malgré quelques faiblesses, un homme excellent. » S’il a compris Jésus, Paul ne l’a pas compris, car, ni à Jérusalem, ni à Antioche, ni à Corinthe, ils ne paraissent avoir été dans le même camp, et la littérature pseudo-clémentine fait de Pierre le constant adversaire de Paul. Qu’il ait été plein de bonté, cela est possible ; mais avec ce rare don du ciel, s’il est seul, on ne fonde rien. Dans les temps de lutte, l’extrême bonté est parfois duperie ; c’est en tout cas une qualité de peu d’usage. Le bon Pierre, ami de Jacques et plein de sympathie aussi pour Paul, approuvant toutes les idées pour ne pas blesser les personnes, obéissant docilement aux émissaires de Jacques et ne soufflant mot à la juste apostrophe de Paul, devait être un de ces hommes qu’on tient à avoir dans son parti, non pour leur capacité d’initiative, mais pour leur nom, qu’on se dispute moins pour en faire des chefs actifs que des drapeaux. Pierre aima Jésus plus que Paul, cela est certain. Paul n’a connu que le Jésus idéal ; mais il aima, comprit, affirma ce Jésus idéal plus énergiquement que Pierre. Dans l’histoire du christianisme primitif, on peut par la pensée supprimer Pierre. Ce sera un vide dans la liste des âmes sincères et des cœurs dévoués, voilà tout. Qu’on essaie de faire abstraction de saint Paul,