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pas, il n’est pas croyable que Paul ait montré cette inconséquence et délaissé sa cause au point de donner de pareils gages à ses adversaires.

Ces traits, que M. Renan attribue à l’esprit d’accommodement et de conciliation, sont fondus de telle façon dans son récit qu’ils n’y détonnent pas trop. C’est dans sa conclusion que M. Renan nous paraît donner de Paul une idée qui ne semble pas répondre au brillant tableau qu’il a fait de cette vie extraordinaire, et moins encore à la vérité et à la justice. C’est là que Paul nous paraît réellement diminué. Que l’apôtre n’ait pas eu de son vivant l’importance que nous lui attribuons, « que ses églises n’aient pas été très solides ou l’aient renié, » il n’en serait guère amoindri ; mais le premier point est-il bien certain? Si Paul n’a pas joué le premier rôle à l’époque apostolique, comment se fait-il que l’auteur des Actes des Apôtres, dès le moment où il l’introduit en scène, ne parle que de lui seul, au point que cette histoire prétendue des apôtres n’est que l’histoire de Paul? Pour le second point, nous avons de faibles lumières. Pourtant, si les églises d’Asie et de Corinthe l’ont renié ou ont associé à son nom un autre nom plus autorisé, ce ne fut qu’une éclipse d’un moment; ce serait un miracle que Paul eût pu lutter seul, avec un avantage immédiatement décisif, contre la coalition des douze et l’énorme influence dont ils disposaient. Paul mourut doutant, non certes de la vérité, mais du succès de la cause qu’il avait défendue. Ne l’a-t-il pas emporté en définitive? N’est-ce pas son évangile qui a vaincu, et ce triomphe longtemps contesté, incertain du vivant de l’apôtre, n’est-ce pas le triomphe même du christianisme? C’est pour cela que Paul nous paraît, après Jésus, mériter la gloire de fondateur, bien que M. Renan ne veuille point la lui accorder. C’est pour cela que Paul nous paraît incomparablement, supérieur aux autres apôtres. M. Renan déclare qu’il leur est inférieur; mais, des douze apôtres, nous ne connaissons pas les œuvres, nous ne connaissons pas même tous les noms. Ils ont joui de la vue du Seigneur, ils ont entendu de leurs oreilles sa vivante! parole. A-t-elle pénétré jusqu’à leurs âmes, les a-t-elle transformés, en a-t-elle fait des hommes nouveaux? Ont-ils compris cet enseignement auquel ils ont eu le bonheur, non le mérite d’être appelés? Jésus s’était élevé contre la dévotion matérielle et les observances littérales. Nul plus qu’eux n’est attaché à la lettre de la loi, plus exact à suivre les traditions et les règles de la piété extérieure. Des deux faces de Jésus, la face juive et la face humaine, ils semblent n’avoir connu que la première. A les voir, on dirait que le maître n’a paru sur la terre que pour fonder un couvent d’ascètes et ajouter quelques nouveaux articles au code déjà si chargé de la discipline religieuse des Juifs. Ce sont gens, M. Renan