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qu’il rencontre çà et là parmi les Juifs orthodoxes est peu de chose auprès des colères que suscite parmi les chrétiens judaïsans le scandale de sa libre prédication. Or il semble que M. Renan, dans le récit qu’il a fait de ces âpres disputes, ait par moment désarmé saint Paul, et l’ait montré plus conciliant et plus pacifique qu’il n’a été en réalité. Les natures comme la sienne ne changent qu’une fois en leur vie. Elles se plient mal aux accommodemens de la politique et ne connaissent guère les voies souterraines d’une pensée qui se dissimule pour mieux s’insinuer. Elles n’aiment que le plein jour et la ligne droite. Paul, dès sa première entrée à Antioche, vers 44, est tout ce qu’il sera jamais. Les six années qui ont suivi immédiatement sa conversion sont obscures pour nous. Il est permis de penser qu’elles ont été comme une retraite mêlée de contemplation et d’action pendant laquelle il a formé sa conviction et préparé son œuvre. Quand pour la première fois il se lance dans le monde païen, son siège est fait. Il est armé de toutes pièces. Il sait à quoi s’en tenir sur les rapports des deux alliances. Il ne croit plus du tout à la vertu de la loi juive, ni à l’utilité des pratiques qu’elle impose. Il a tout à fait dépouillé le vieil homme. Il ne connaît que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié, comme il l’écrira plus tard aux Corinthiens; l’esclavage de la loi ne vaut pas mieux à ses yeux que l’idolâtrie. Il avait jusque-là mis à peine le pied à Jérusalem; il était inconnu même de visage aux frères de Judée. Des apôtres, il n’avait vu en passant que Pierre et Jacques (qui n’était pas des douze), non pour leur soumettre sa foi et conférer avec eux de son Évangile comme avec des chefs hiérarchiques dont il reconnût l’autorité, mais simplement pour faire connaissance avec les deux plus considérables des anciens, ses aînés dans l’église. Au retour de la première mission de Paul, la scission éclata. Il ne s’agissait pas de savoir si les étrangers seraient admis dans la communauté chrétienne. La question, sans avoir été tranchée nettement par Jésus ni décidée en droit par le collège des douze, avait été résolue en fait avant qu’on l’eût seulement posée. Des païens en grand nombre avaient reçu le baptême en Syrie et ailleurs. On ne pouvait songer à déclarer ce baptême nul et à les exclure de l’église. C’eût été montrer un esprit plus étroit que les Juifs mêmes, qui admettaient des étrangers comme prosélytes; mais les prosélytes étaient tenus par eux dans un état d’infériorité. En serait-il de même dans l’église pour les nouveaux convertis issus du paganisme? Sur quel pied seraient-ils reçus? leur imposerait-on pour condition l’observation rigoureuse de la loi et des traditions mosaïques? Quelqu’un aurait-il l’intelligence assez large pour comprendre que les pratiques légales étaient un principe de séparation et partant un insurmontable obstacle à l’universelle diffusion de la doctrine chrétienne,