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quées. La dialectique est entraînante, les raisons ne sont pas toujours bien fortes. L’apôtre a sa logique, comme il a sa grammaire. Dans aucune littérature pourtant, il n’y a d’œuvre plus fortement individuelle. C’est en lisant saint Paul qu’on a le droit de dire que le style est l’homme même. L’apôtre se peint tout entier dans ses lettres avec tous les contrastes qui composent sa riche et ondoyante nature. « Il y est à la fois vif, rude, poli, malin, sarcastique, puis tout à coup tendre, délicat, presque mièvre et câlin. » On y trouve tous les tons, et si j’ose dire toute la gamme de l’âme humaine depuis les élans les plus élevés du mysticisme jusqu’au bon sens le plus solide de la sagesse pratique. On peut s’en convaincre en lisant les épîtres aux Thessaloniciens et celles aux Corinthiens. Paul, quand il écrivit ces dernières, était à Éphèse. à eut à y subir des tribulations et des épreuves qui semblaient supérieures aux forces humaines. L’opposition, les outrages et les violences des Juifs, les cris de mort de la populace païenne soulevée par leurs menées, il y était fait; les calomnies et les intrigues des faux frères, il y résistait depuis plusieurs années sans faiblir; la maladie, il la traînait presque toujours avec lui. A tout cela se joignit cette amère douleur d’apprendre à plusieurs reprises les divisions, les abus, les désordres de toute espèce qui se produisaient parmi ses fidèles de Corinthe, désordres dans la vie privée, désordres dans les réunions, où la fureur prophétique éclatait en scènes de convulsionnaires, désordres dans les repas en commun, où plusieurs se gorgeaient et buvaient jusqu’à l’ivresse pendant que d’autres, faute d’avoir rien apporté, mouraient de faim à la porte. Dans cet or de la primitive église, moins de trente ans après la mort du Christ, il y avait déjà bien des scories. Les premiers chrétiens sortaient en général des classes les plus humbles de la société. Il ne pouvait pas se faire que la prédication nouvelle eût transformé d’un seul coup des natures incultes. L’indifférence pour les rites extérieurs, qui était l’essence de l’enseignement de saint Paul, n’était pas sans péril pour des âmes dont le fonds intellectuel était fort pauvre en général et la raison mal exercée. D’un autre côté, la persuasion que le monde allait prochainement finir devait produire parmi ceux qui n’étaient pas du nombre des spirituels des scènes analogues à celles qui se passent souvent sur un navire qui va sombrer.

En aucun moment, Paul ne fut plus près du découragement. Il tint bon toutefois, écrivit lettre sur lettre, envoya ses disciples les plus sûrs en avant, puis se rendit de sa personne à Corinthe. C’est pendant son dernier séjour dans cette ville que Paul dicta sa lettre dite aux Romains. M. Renan considère cette épître, où Paul résume sa doctrine théologique, comme une circulaire envoyée par l’apôtre à plusieurs églises et qui a pris son nom de l’exemplaire destiné