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ne comprennent peut-être pas davantage. On peut s’écrier en montrant un parricide de trente ans : — Quoi ! cette jeune tête tomberait sur l’échafaud ? Ah ! tout mon cœur se révolte à cette pensée! — On a fait preuve d’une éloquence médiocre, et l’on n’a point ému le jury. Aussi les grands avocats, réservant leur talent pour les causes civiles et ne parlant en cour d’assises que dans certaines circonstances tout à fait exceptionnelles, dédaignent ces luttes théâtrales où les ressources variées de leur parole sont vaincues par le bon sens le plus vulgaire. Il est un homme pourtant qui, dans l’auditoire, ne perd pas un mot de ce que dit l’avocat, c’est l’accusé. Son visage trahit ses émotions, il se reprend à l’espérance, et sur ces flots d’éloquence dont il est le prétexte, il voit surnager la barque du salut. Chose étrange, si dans sa plaidoirie le défenseur parle des premières années de son client, de l’époque de pureté où, vivant près de sa famille, l’idée même du crime lui était inconnue, il est sans exemple que le coupable, fùt-il trois fois meurtrier, ne laisse tomber sa tête entre ses mains et n’éclate en larmes.

Pendant tout le temps que les voix de l’accusation et de la défense se font entendre, chaque juré, immobile comme un sphinx d’Egypte, est resté impassible, sentant bien souvent sa conviction fortifiée par les tentatives mêmes qu’on a faites pour l’ébranler. Le président demande à l’accusé s’il a quelque chose à ajouter, car la dernière parole qui doit être entendue est celle de l’homme que menace la loi, puis il clôt les débats[1] et les résume en s’adressant au jury; il rappelle les charges de l’accusation, les moyens de défense, et, avant de le convier à se retirer dans la salle des délibérations, il l’adjure de songer à la haute mission qui lui est confiée et de la remplir avec sincérité. Le jury se retire, et l’audience est suspendue. Il est tard, les lourds lustres qui tombent du plafond sont allumés, l’atmosphère est chaude et énervante, cela sent à la fois la poussière et la foule, il y a moins d’animation que dans le milieu de la journée : on comprend que la fatigue a saisi tout le monde; mais la curiosité subsiste, et l’on reste pour connaître le dénoûment. L’accusé est dans sa geôle, et généralement il éprouve une sorte de mouvement de détente qui se traduit par de la gaîté. Il a fini de jouer son rôle, il peut ôter le masque de convention qu’il a gardé si longtemps; c’est pour lui presque une heure d’ex-

  1. Lorsque l’affaire est scandaleuse, elle est jugée à huis clos. Aussitôt après la lecture de l’intitulé de l’acte d’accusation, l’avocat-général requiert qu’on fasse retirer le public, qui ne rentre dans la salle qu’au moment où le président commence son résumé. Lorsque l’on traverse le Palais de Justice, il est facile de reconnaître s’il y a un huis clos, car dans ce cas l’escalier qui conduit à la cour d’assises est fermé par une barrière volante.