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l’air; j’ai pu, en suivant les sessions de la cour d’assises, le constater plusieurs fois. Au fur et à mesure des dépositions ou selon les besoins de l’interrogatoire, on montre les pièces à conviction, qui, une à une, sont présentées à l’accusé, à qui l’on demande s’il les reconnaît. On voit apparaître alors dans leur muette éloquence ces témoins terribles qui, mieux que tout langage, racontent les péripéties du drame : nippes sanglantes, couteaux rouilles, fioles encore à demi pleines de poison, instrumens de crime, vêtemens de malheureux qu’on a jetés violemment dans la mort. Lorsqu’on fit voir à Philippe la robe que portait sa dernière victime, robe si imprégnée de sang qu’elle en était raide, la salle entière jeta un cri d’épouvante. Il est un témoin qui est toujours attendu avec impatience et écouté avec un soin religieux, c’est le médecin légiste. Dans bien des cas d’empoisonnement ou de meurtre mal définis, c’est lui qui réellement détermine le verdict du jury. Il accomplit là une mission redoutable, car il tient dans ses mains la vie de l’accusé et l’acte même de la justice. Un magistrat doit avoir une somme de connaissances générales qui lui permettent de démêler toutes les difficultés spéciales qu’il peut rencontrer; mais on ne peut exiger de lui qu’il fasse des expertises chimiques ou des autopsies. La justice délègue donc un praticien qui devient son auxiliaire, dégage la vérité, et fournit les preuves scientifiques sur lesquelles une conviction sérieuse peut s’établir.

La médecine légale doit dater du temps qui a vu disparaître les épreuves. Ambroise Paré parle « des rapports en justice, » et antérieurement à lui on retrouve un texte du 14 septembre 1390 qui prouve qu’à cette époque « le cirurgien juré du roy » constatait devant les juges du Châtelet les blessures qu’il avait été chargé d’examiner. L’importance d’une telle science n’échappa point aux réformateurs de la justice française, et une loi de frimaire an III institua dans toutes les facultés une chaire de médecine légale. Il n’y a qu’à se rappeler les noms de Devergie, d’Adelon, d’Orfila, de Tardieu, pour comprendre que la science dans ce qu’elle a de plus élevé vient en aide à la justice. Lorsque l’accusé fait faire pour sa part une contre-expertise, lorsque de la lutte scientifique engagée nulle lumière suffisante n’a pu jaillir, lorsqu’il reste des doutes dans l’âme des jurés, on appelle pour terminer le débat, comme une sorte de tiers-arbitre destiné à résoudre la question, un de ces hommes éminens dont la parole seule fait foi, et qu’on nomme, un peu prétentieusement, les princes de la science. C’est ainsi que dans le procès Lafarge Orfila fut mandé, et par son rapport entraîna la condamnation. Dans l’affaire La Pommeraye, en présence de l’accusé et d’un expert choisi par lui, qui repoussaient