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dont il n’usa pas, de faire renvoyer le procès à une autre session. Les jurés, placés au-dessous des fenêtres qui éclairent l’accusé en plein visage et permettent de ne pas perdre un de ses mouvemens, ont devant eux des plumes, de l’encre, du papier et des flacons de vinaigre, précaution que l’exhibition de certaines pièces à conviction ne rend pas toujours superflue. Celles-ci, scellées et munies d’étiquettes indicatives, sont déposées sur une table au-dessous de l’estrade où la cour va venir siéger.

Un audiencier frappe vivement contre une porte et annonce : La cour, messieurs! Tout le monde se lève. Le président, les deux conseillers, l’avocat-général, vêtus de la grande robe rouge à plis flottans, l’hermine à l’épaule, entrent lentement. Cela est d’une majesté vraiment imposante. Le président, s’adressant aux jurés, les invite à s’asseoir, et l’audience est ouverte. Son premier soin est de constater l’identité de l’accusé en lui demandant son état civil; puis il rappelle à l’avocat qu’il ne peut rien dire contre sa conscience ni contre le respect qui est dû aux lois; ensuite il lit la belle formule du serment imposé au jury, qui l’écoute debout, et chaque juré, individuellement nommé, dit en levant la main : Je le jure[1]. Le président avertit l’accusé qu’il ait à être attentif, et le greffier, à très haute voix, lit l’acte d’accusation — avec ces inflexions monotones et traînantes familières à ceux qui répètent pour la millième fois peut-être des formules dont ils savent tous les termes. Ensuite on fait l’appel des témoins, qui sortent immédiatement de la salle d’audience et sont enfermés dans une chambre qui leur est spécialement réservée. L’accusé se lève sur l’ordre du président, et l’interrogatoire commence.

Il est rare que l’accusé, qui a eu de longs jours de solitude et de réflexion pour se préparer à subir cette terrible épreuve, ne fasse pas bonne contenance; mais un phénomène physique qui se produit invariablement indique à des yeux exercés la force des sensations qu’il cherche à dominer. Toute émotion déprimante agit directement sur les glandes salivaires, dont elle neutralise en partie les sécrétions; dès lors elle provoque un mouvement de déglutition répété et qu’on peut suivre sur le cou de l’accusé par le va-et-vient

  1. Voici la formule; si je ne me trompe, elle a été libellée par Duport : « vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre N..., de ne trahir ni les intérêts de l’accusé, ni ceux de la société, qui l’accuse, de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration, de n’écouter ni la haine, ni la méchanceté, ni la crainte ou l’affection, de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre. » (Inst. crim., 312.)