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sous toutes les formes, ils brisent les volontés les plus résistantes. « Eh bien! oui, j’ai fait le coup, dit un assassin auquel on ne pouvait arracher un aveu. J’aime mieux être guillotiné tout de suite que d’être embêté comme ça ! »

On n’en finit pas en un jour avec les criminels, et quelques-uns d’entre eux ont fait de bien fréquentes stations dans le cabinet du juge. Chaque fois que celui-ci a terminé un interrogatoire, il le résume et le dicte à son greffier. Ce dernier le lit alors à l’inculpé, qui le signe, s’il y trouve le sens de ses réponses exactement reproduit. Quand ces malheureux apposent leur signature au bas du procès-verbal, il est curieux de constater à leur application la difficulté qu’ils ont à écrire, à maintenir une plume entre leurs doigts raidis et comme ankylosés ; ce n’est pas sans commisération qu’on voit de tels efforts, qui sont une preuve douloureuse de leur ignorance et peut-être après tout de ce qui leur a manqué pour vivre honnêtement. Sur 4,607 individus traduits en France devant le jury dans le cours de l’année 1867, 1,681 (36 pour 100) ne savaient ni lire ni écrire, 2,068 (45 pour 100) lisaient et écrivaient imparfaitement, 638 (14 pour 100) savaient lire et écrire au point d’utiliser ces connaissances, 200 (moins de 5 pour 100) avaient reçu une instruction supérieure[1]. Ainsi, parmi les criminels, 81 pour 100 sont illettrés ou à peu près. C’est là un aveu bon à retenir quand on se décidera enfin à résoudre après tant d’autres peuples la question de l’instruction obligatoire. Il est une autre considération dont il faut tenir grand compte, si l’on veut apprécier impartialement les divers mobiles qui pervertissent tant de pauvres gens ; le nombre des attentats contre la propriété augmente ou diminue selon que le prix du pain est plus ou moins élevé ; le rapport est constant et presque en proportion mathématique[2]. Ainsi les deux causes prépondérantes du crime sont l’ignorance et la misère; ne serait-ce donc que dans l’intérêt égoïste de sa propre sécurité, toute nation doit rechercher avec ardeur les moyens de combattre ces deux grands pourvoyeurs de la prison.

A mesure que l’information avance, les faits principaux devien-

  1. Compte général de l’administration de la justice criminelle en France pendant l’année 1867, rapport VIII.
  2. En 1845, l’hectolitre de froment vaut 19 francs 76 centimes, le nombre des condamnés pour 10,000 habitans est de 10 81 centièmes; en 1847, il vaut 29 francs 1 centime, on compte 17 condamnés 57 centièmes; de 1856 à 1859, le prix du froment descend de 30 francs 75 centimes à 16 francs 74 centimes, le nombre des condamnés descend de 18 22 centièmes à 14 65 centièmes; en 1861, la valeur de l’hectolitre monte à 24 francs 55 centimes, le chiffre des condamnés s’élève immédiatement à 16 52 centièmes.