Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/856

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

magistrat, qui n’est autre que son lieutenant, semble se consulter, A la gauche se tiennent quelques seigneurs, occupant des places privilégiées, et qui sans doute sont venus voir comment on administre la justice au bon peuple de Paris. A droite, le procureur du roi parle et requiert l’application de quelque caduque ordonnance. C’est là le fond du tableau, le tribunal proprement dit, qui est élevé sur une estrade de quelques marches. Plus bas, de plain-pied avec la foule des assistans, s’étend une large table sur laquelle deux greffiers écrivent. Là, séparés du public par une barrière à hauteur d’appui, s’entassent les prévenus gardés par quelques soldats de la maréchaussée : ce sont des filles, des cagoux, des riffodés, des mendians, de faux pèlerins portant la coquille à l’épaule, de petits laquais à mine de chafouin, des béquiliards vêtus de guenilles, tourbe ramassée la nuit dans les cabarets, dans les mauvais lieux, et fort semblable, sauf la différence des costumes, à ce que nous pourrions voir encore aujourd’hui. Tous les inculpés sont mêlés, et il n’y a point apparence d’avocat. L’audience est publique; dans le groupe qui représente les curieux et qui est au premier plan, on remarque quelques commères, des oisifs, des domestiques et même un nègre. Près du procureur du roi, l’huissier à verge est debout, il touche de sa baguette noire, pour constater la prise de possession, une fille qui, venant d’être condamnée, s’engage dans un couloir conduisant à la prison, dont la porte est surmontée des attributs ordinaires de la justice, la main, le glaive et les balances. Rien n’est plus intéressant que ce tableau, qui, permettant de saisir sur le vif une de ces audiences populaires dirigées au Châtelet par le prévôt de Paris, nous rend contemporains de faits indécis que l’histoire a consignés sans prendre la peine de les décrire.

Dès le commencement de la révolution, les membres de l’assemblée constituante, qui pour la plupart savaient par expérience combien la justice était incomplète en France, renversèrent le vieil édifice et résolurent de le reconstruire. Jusqu’à cette époque, on ne s’était occupé que des juges, de leurs prérogatives et de leurs privilèges. On prit à tâche alors de protéger l’accusé, qui, enfin jugé publiquement, put faire comparaître des témoins à l’audience et être assisté par un avocat; mais l’innovation la plus grave, celle qui devait donner à la justice un caractère social qu’elle n’avait point encore connu, ce fut l’institution du jury, que les législateurs empruntèrent aux coutumes anglo-saxonnes. Duport, ancien conseiller au parlement et membre de l’assemblée nationale, fut le vrai réformateur de la justice; à force de bon sens et de logique, il fit admettre en principe la création du jury, si contraire à nos traditions et à nos