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mort de leur fils; les parens de Ravaillac, plus tard ceux de Damiens, sont chassés de France, et doivent être pendus et étranglés, s’ils y rentrent. Il est difficile de lire jusqu’au bout le récit du supplice de Damiens et de ne pas jeter le livre de dégoût et d’horreur. Les lois les plus insensées ont traversé des siècles sans être modifiées, et sont venues mourir à l’assemblée nationale. Henri II, par un édit de février 1556, ordonne que toute fille enceinte aille faire sa déclaration devant le juge sous peine d’être punie de mort, si son enfant vient à mourir; cette loi odieuse fut en vigueur jusqu’en 1789. Quant aux gens de lettres et aux imprimeurs, qu’on n’a dans aucun temps traités avec une douceur exemplaire, ils étaient pour libelle diffamatoire condamnés au fouet et à mort, s’ils recommençaient. François Ier, « le père des lettres, » promulgua, le 15 janvier 1534, un édit qui défend « sous peine de la hart que nul n’eust dès lors en avant à imprimer ou faire imprimer aucuns livres en ce royaume. » Cela n’est que cruel et coupable; mais voici qui est grotesque : les cadavres des suicidés ou des criminels morts pendant l’instruction étaient jugés, condamnés, exécutés. Il y en eut qu’on sala, qu’on empailla pour les mettre à l’abri d’une décomposition menaçante, et qu’on fit comparaître. Tous les supplices étaient précédés de l’amende honorable; le condamné à genoux, pieds nus, corde au cou, tenant en main une torche de cire d’un poids déterminé par le jugement, demandait devant une église désignée pardon de ses crimes à Dieu, cérémonie à la fois humiliante et terrible qui était une aggravation de la peine. Le dernier malheureux qui fit amende honorable fut Mahi de Favras, le fameux complice de Monsieur, le 19 février 1790. Une telle brutalité dans la répression indignait-elle les hommes d’intelligence? Tant s’en faut! Collé raconte dans ses Mémoires qu’il a vu une entremetteuse promenée dans les rues de Paris, fouettée et marquée, et il s’étonne qu’elle n’ait point été condamnée à mort.

Si telle était la justice du parlement et du roi, on peut imaginer ce que valaient ces justices seigneuriales, prévôtales, ecclésiastiques, qui pendant tant d’années s’exercèrent sans contrôle, comme un droit supérieur transmis par la naissance, la charge exercée ou la tradition. Ce fut Louis XIV qui hardiment poussa du pied toutes les petites potences qui se dressaient autour de celle de la royauté; il ne voulut plus à Paris qu’une seule loi, la sienne, et, sans le prévoir, obéissant à un idéal de grandeur monarchique, il rendit plus faciles les réformes qui devaient atteindre la justice française et en préparer l’unité[1]. — Lorsque l’édit de 1674 supprima d’un seul

  1. Nul doute que Louis XIV n’eût voulu agir ainsi pour toute la France; mais, pendant la guerre qui précéda la paix de Riswick, il avait vendu les justices de la plupart de ses domaines. Dès lors il ne pouvait les supprimer, à moins qu’elles ne fussent rachetées, et le maintien de ces justices royales aliénées entraînait celui des justices seigneuriales, féodales, ecclésiastiques et prévôtales, qui, couvrant le royaume, y commettaient des abus sans nombre et sans nom.