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et à billots, elle voit en lui un homme, elle l’entoure de garanties qui lui permettent, par un débat public et contradictoire, de prouver son innocence ou d’être accablé par les preuves discutées de sa culpabilité. Ce grand travail de civilisation ne s’est point fait en un jour; il a fallu pour l’accomplir bien des années, bien des controverses entreprises par des intelligences supérieures, il a fallu surtout la révolution française, qui, dans son ardeur pour l’équité et pour le droit, a jeté bas l’échafaudage sanglant de nos vieilles coutumes judiciaires: elle y a substitué ces prescriptions préservatrices, ces lois longuement élaborées qui font de nos codes français un ensemble qu’on perfectionnera encore sans aucun doute, mais auquel les nations européennes n’ont rien d’aussi complet à opposer. A regarder de près comment la justice était administrée jadis en France, on serait tenté de croire que les juges, résolus à condamner toujours et quand même, mais voulant néanmoins mettre leur conscience à l’abri, cherchaient de toute manière à provoquer les aveux des accusés. De là ce luxe effroyable de tortures que, par une sorte d’euphémisme qui révèle le but poursuivi, on appelait la question. Ce n’est pas le lieu de décrire ces supplices savans qui tenaient aux coutumes des diverses provinces, jalouses de les conserver et de les appliquer exclusivement; l’eau, l’estrapade, les brodequins, les chevalets, le tour, les mèches, les œufs brûlans glissés sous les aisselles, sont connus, et jadis ne révoltaient personne; cela faisait partie de la justice et de son appareil. Les hommes les plus intègres, les meilleurs, les plus sages, ordonnaient la torture sans même penser qu’ils commettaient un crime; il n’y avait pas que le Dandin des Plaideurs qui pût dire :

Bath! cela fait toujours passer une heure ou deux!


Nul n’y échappait dans les causes criminelles, ni les innocens, ni les coupables. On pourrait croire qu’il suffisait à un accusé de faire des aveux pour être exempté de ces « préliminaires; » on se tromperait. Il y avait deux sortes de questions parfaitement distinctes et que l’on a souvent confondues. La première, la question préparatoire, était infligée à tout accusé, afin d’obtenir de lui les détails du crime qui lui était reproché; la seconde, la question préalable, était indistinctement appliquée à tous les condamnés à mort, afin de les forcer à nommer leurs complices : supplice non-seulement barbare, mais inutile, ainsi qu’on l’a si souvent constaté, car presque tous les aveux de complicité ont été murmurés au pied même de l’échafaud, du gibet ou du bûcher, sous l’influence amollissante du prêtre, loin des salles de torture, et lorsque le souvenir de