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foule. La baraque de Barbin devait se trouver à l’endroit même où les costumiers sont installés, c’est du moins Boileau qui le dit :

Par les détours étroits d’une barrière oblique,
Ils gagnent les degrés et le perron antique
Où sans cesse étalant bons et mauvais écrits,
Barbin vend aux passans des auteurs à tous prix.

De tout cela, il ne reste plus trace. A voir cette large galerie sonore, cette immense salle des Pas-Perdus, coupée aujourd’hui par des refends de planches placardées d’affiches, ce vestibule un peu froid où passent les avocats faisant voltiger la toge noire, les avoués embarrassés de paperasses, des gardiens à épaulettes rouges, et quelques gendarmes désœuvrés debout devant des entrées interdites, qui n’affirmerait que les fameuses boutiques du Palais ont été enlevées il y a bien longtemps? Oublieux que nous sommes! en 1840, on y vendait encore des pantoufles, des joujoux et des livres; elles n’ont été supprimées que vers 1842, lorsque l’on a exproprié les maisons qui s’élevaient dans la cour de la Sainte-Chapelle, maisons occupées en partie par des orfèvres, et qui ont été jetées bas pour faire place aux chambres du tribunal correctionnel.

Le Palais était devenu absolument impropre à l’administration de la justice, et depuis quelques années on l’agrandit, on le modifie de façon à le mettre autant que possible en rapport de dimensions et de distribution avec les nombreux services auxquels il doit suffire. Lorsque les constructions, bien lentes à s’achever, seront enfin terminées, ce quartier de Paris aura un aspect qui ne fera pas regretter ce qu’on y voit aujourd’hui. La place Dauphine sera un square, les bâtimens vermoulus de la préfecture de police auront été emportés dans les tombereaux des gravatiers, et une façade monumentale s’ouvrira sur la rue de Harlay élargie. Elle existe déjà, cette façade, mais les perrons, à peine indiqués, ressemblent à de gros moignons de pierre; elle est presque entièrement dissimulée derrière les cahutes de planches et de torchis où la police loge provisoirement ses employés. Elle a une grandeur sévère bien appropriée à l’idée de la justice, et elle est du reste mieux conçue que la plupart des architectures dont il est de mode de nous encombrer aujourd’hui. Le monument sera de proportions très vastes, car il doit contenir non-seulement le Palais, mais aussi la préfecture de police et la Conciergerie. Malgré ses larges dimensions, ne sera-t-il pas promptement trop étroit pour abriter de si multiples services? On peut le craindre et regretter que le Palais, prenant jour directement sur le quai des Orfèvres, n’ait point poussé ses constructions et sa façade occidentale jusqu’à la place Dauphine.